La Fanfarlo de Baudelaire : ISSN 2607-0006
"Tu m'as donné ta boue, j'en ai fait de l'or" : Quel est le poète dont l'aura rayonne le plus au XIXeme siècle ? C'est certainement Baudelaire ( Biographie sur le site Larousse), dernier des romantiques, premier des modernes. Ses fleurs maladives fascinent encore : dualité de la femme, la double postulation, le spleen, la modernité, la ville, l'exotisme... Mais laissons la parole au poète dans un de ses poèmes qui "glorifie le culte de l'image"; Poète du paradoxe et de l'excès, Baudelaire fait déferler de stupéfiantes images :
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
"Le Beau est toujours bizarre" : Dans "Une charogne", il a su extraire la beauté du mal. Les bases de la littérature antique, classique, sont transmuées en or. Mais Baudelaire n'est pas le poète d'une seule oeuvre, il a aussi écrit la Fanfarlo : C'est une nouvelle assez étonnante, sous la plume du traducteur de Poe, influencée par l'écriture balzacienne, notamment la longue nouvelle, La fille aux yeux d'or. Un jeune dandy, Samuel Cramer, poète à ses heures perdues, décide d'aider une femme vertueuse à reconquérir son mari, notamment en le libérant de sa passion pour la "Fanfarlo", une actrice. Samuel, se prête au jeu mais l'amour devient véritable passion... Ce qui est remarquable dans cette petite nouvelle étincelante et délirante, c'est l'esthétique de Baudelaire qui transparaît à chaque ligne : la haine de la femme naturelle, la pose du dandy, la malédiction de la création, l'éloge d'un certain romantisme mais le blâme de W. Scott... "Le temps était noir comme la tombe, et le vent qui berçait des monceaux de nuages faisait de leurs cahotements ruisseler une averse de grêle et de pluie. Une grande tempête faisait trembler les mansardes et gémir les clochers ; le ruisseau, lit funèbre où s'en vont les billets doux et les orgies de la veille, charriait en bouillonnant ses milles secrets aux égouts ; la mortalité s'abattait joyeusement sur les hôpitaux et les Chatterton et les Savage de la rue Saint Jacques crispaient leurs doigts gelés sur leurs écritoires, quand l'homme le plus faux, le plus égoïste, le plus sensuel, le plus gourmand, le plus spirituel de nos amis arriva devant un beau souper et une bonne table, en compagnie d'une des plus belles femmes que la nature ait formées pour le plaisir des yeux". Cette nouvelle nous plonge au cœur des obsessions baudelairiennes et ne manque pas d'ironie, de dérision, et d'autodérision (?)... Romanesque à souhait, réflexion sur le poète, sur le faux et le mensonge, La fanfarlo oscille entre le grotesque des personnages et le charme d'une écriture outrée.
Baudelaire, La Fanfarlo, 1001 et nuits, 62 p.
Autres oeuvres : Les fleurs du mal/ Mon coeur mis nu, Baudelaire,