Béowulf/ Grendel de Mako Oikama (volumes 1 à 3) : ISSN 2607-0006
« Grendel ». © MAKO OIKAWA
Comment ne pas être attiré par ces magnifiques jaquettes ? Ce titre de manga fait référence à la légende de Beowulf, texte épique anglo-saxon qui date du VIII-XIeme siècle, mais M. Oikawa s'éloigne beaucoup de ses sources, tout comme on constate qu'elle s'éloigne de la dark fantasy à laquelle appartient cette série.
Poème épique, Beowulf conte la geste héroïque d'un Gaut, personnage éponyme, venu délivrer le roi Schyld d'un monstre, Grendel. Puis le héros combat la mère du monstre et enfin un dragon. Ecrit au XIeme siècle, ce récit valorise les vertus chrétiennes alors qu'il se déroule dans un milieu païen. La brève introduction est très instructive pour qui s'intéresse à ce texte : on apprend ainsi comment le poème est construit sur des hémistiches, respecte des motifs traditionnnels comme la traversée du héros, les triples épreuves... Avec ses phrases formulaires, ses répétitions et ses thématiques comme les liens de vassalités, Beowulf ressemble aux chansons de geste telles que la chanson de Roland ou Le couronnement de Louis. Pour André Crépin, ce récit épique est "un miroir du prince" (p. 23), valorisant le bon roi qu'est devenu Beowulf. Vieux, face à l'adversité, le héros Gaut n'hésite pas à reprendre ses armes pour sauver son peuple :
" Venger la défaite de son clan fut par la suite
sa préoccupation. Il accorda alliance
à Eadgils qui manquait de tout : il soutint la cause
du fils d'Ohthere au-delà de la vaste mer
en envoyant hommes et armes. Il exerça ensuite sa vengeance
à coup d'expéditions cruelles, au roi il arracha la vie.
Ainsi le fils d'Ecgtheow avait surmonté
tous les obstacles, tous les heurts,
Tous les exploits héroïques jusqu'au jour unique entre tous où il dut se battre avec le dragon." (p. 191)
Dans la BD japonaise, une chevaleresse d'exception est emprisonnée pour avoir failli à ses devoirs, c'est-à-dire protéger l'une des princesses du royaume. Elle a d'ailleurs pour particularité de pleurer lorsqu'elle tue un adversaire... Pour se racheter, elle doit amener un enfant dragon dans un autre royaume, les jardins du roi. Evidemment, de nombreuses embûches se dressent devant nos deux protagonistes, notamment des magiciens, des sorcières, des lycanthropes comme dans tout univers de fantasy qui se respecte...
Mais l'attrait de ce manga ne réside pas dans les combats, qui ne sont d'ailleurs pas particulièrement mis en valeur par les dessins, mais dans l'évolution des personnages. Quête initiatique, Grendel nous donne à voir les changements de l'enfant dragon Grendel et de la guerrière Camélia. Ainsi les décors sont peu nombreux, les cases représentant souvent les personnages en gros plan ou en pleine page (Planche 1). Malgré les morts, les batailles, les monstres, la mangaka crée des touches
planche 1 Grendel © by MAKO OIKAWA
d'humour, de tendresse (on a rarement vu un dragon aussi adorable, illustration 1 ci-dessous), et des références littéraires. Sa deuxième série - une seule publiée en France comme nous l'indique la présentation sur la jacquette - mérite d'être découverte pour l'indépendance et la force de caractère de ses personnages et pour son univers d'héroïc fantasy atypique où les valeurs personnelles prennent le pas sur la force. Un excellent titre des éditions Komikku !
Oikawa Mako, Grendel (série en trois tomes), Komikku Editions, France, décembre 2018.
Beowulf, Livre de poche, France, août 2016, 248 p.
Sur le web : Monasterolo Bernard, manga : "Grendel", la bonne surprise de la dark fantasy", Le monde, mis en ligne le 31 mai 2018. URL : https://www.lemonde.fr/les-enfants-akira/article/2018/05/31/manga-grendel-la-bonne-surprise-dark-fantasy_5307417_5191101.html
Illustration 1 Grendel © by MAKO OIKAWA
Double page couleurs Grendel volume 1 © by MAKO OIKAWA
Arrietty le petit monde des chapardeurs d'Hiromasa Yonebayashi : ISSN 2607-0006
'The Secret World of Arrietty' Trailer
Adapté d'une série de romans de l'Anglaise Mary Norton dans les années 50, Arrietty, le petit monde des chapardeurs est un film d'animation issu des studios Ghibli. Comme toutes leurs productions, ce film d'animation est une merveille très poétique et très belle graphiquement. La campagne est magnifiée par des couleurs chaudes et vives, les mignons détails de l'intérieur des chapardeurs nous font entrer dans un monde merveilleux... Le surnaturel s'entrelace naturellement au quotidien de plus banal. Malheureusement, l'histoire se met très lentement en place.
En effet, dans une maison habitée par un jeune garçon malade et sa domestique Haru, vit une famille d'êtres minuscules dont la vie est sans cesse menacée par des animaux ou par des humains. Plusieurs familles de chapardeurs ont d'ailleurs disparues. La fille ne rêve que de partir explorer le mondes des humains et de chaparder malgré le danger. Chaque déplacement demande des efforts épiques dans ce monde immense que peut être une cuisine, entraînant ainsi une certaine longueur des séquences...
"Arrietty, le petit monde des chapardeurs". WALT DISNEY
Ce film d'animation donne aussi une impression de longueur car les véritables enjeux n'apparaissent qu'à la fin du film. Pendant plus d'une heure, on suit le trajet initiatique de la petite héroïne qui découvre le monde des humains, apprend à chaparder. Certes, elle se montre courageuse et curieuse dans toutes les situations et trouve dès sa première sortie une épingle-épée, faisant d'elle une véritable héroïne, contrairement à sa mère peureuse et qui hurle à tout bout de champ.
C'est avec beaucoup de lenteur que des liens se créent entre le petit garçon malade, esseulé, délaissé par sa mère, et la jeune fille qui ne doit pas se montrer. Malgré toute la beauté de l'animation, on s'ennuie vaguement devant ces mignonnes petites scènes de ce premier long-métrage d'H. Yonebayashi qui n'a pas la complexité des films de Miyazaki...
Yonebayashi, Arrietty, le monde des chapardeurs, 2011, 1h 34.
Sur le web : Lorrain F-G, "Arrietty le petit monde des chapardeurs", maison hantée", Le point. URL : https://www.lepoint.fr/cinema/arrietty-le-petit-monde-des-chapardeurs-maison-hantee-09-01-2011-127980_35.php
Sotinel Thomas, Arrietty, le petit monde des chapardeurs : une fillette, grande héroïne d'un peuple miniature", Le monde, mis en ligne le 11 janvier 2011. URL : https://www.lemonde.fr/cinema/article/2011/01/11/arrietty-le-petit-monde-des-chapardeurs-une-fillette-grande-heroine-d-un-peuple-miniature_1464010_3476.html
"Arrietty, le petit monde des chapardeurs". WALT DISNEY
Le seinen Minuscule décrit aussi la vie de deux êtres lilliputiens, à qui de petits événements arrivent. Les deux petits êtres passent beaucoup de temps à manger, à se déplacer et à réparer des objets puisque c'est le métier de l'un d'entre eux. Chaque chapitre aborde une nouvelle histoire, avec l'apparition d'un nouveau personnage, dont on se demande bien quel est l'enjeu.
© 2013 Takuto Kashiki
Illustration 1 © 2013 Takuto Kashiki
Comme le dessin est minutieux et somptueux ! Chaque case est très détaillée (le manga s'ouvre avec la case de l'illustration 1, ci-dessus), très précis mais cela ne suffit pas pour donner envie de suivre les minuscules aventures de nos deux héroïnes. Quel est l'intérêt de ces histoires sans queue ni tête ? L'ambiance féérique ne masque pas le manque de profondeur de ces récits.
Kashiki Takuto, Minuscule, volume 1, (7 volumes, en cours) Komikku, France, 2015.
Sur le web : billet de Kiona.
Made In Abyss (volumes 1, 2 et 3) d'Akihito Tsukushi : ISSN 2607-0006
MADE IN ABYSS © Akihito Tsukushi
Des jaquettes extrêmement colorées, des dessins tout en rondeur, des personnages d'enfants semble annoncer un monde de douceur : pourtant, Made In Abyss est bien un seinen. Ce qui frappe au premier abord, ce sont le graphisme du mangaka ressemblant à des crayonnés dans des dégradés de gris et l'inventivité débordante de son univers.
Comme ce monde est impressionnant ! Akihito Tsukushi a inventé, comme dans les romans d'héroïc fantasy, toute une carte d'un monde imaginaire et démoniaque (planche 1). En effet, depuis 1900 ans s'est créé un abysse
Illustration 1 MADE IN ABYSS © Akihito Tsukushi / TAKE SHOBO 2013.
autour duquel la ville de Orse s'est construite. Ce lieu dangereux, peuplé de créatures étranges, reste encore inconnu. Des caverniers descendent pour trouver des reliques et découvrir ce que cache le fond de l'abyme. L'héroïne Rico part y rechercher sa mère.
Véritable manga d'aventures, le premier volume repose sur les codes du shonen nekketsu avec une orpheline qui part pour une quête. Cependant, la beauté du manga réside dans les lieux, les monstres imaginaires et les objets inventés (planche 2).
Pl. 2 : MADE IN ABYSS © Akihito Tsukushi
Si A. Tsukushi pose bien les bases de son histoire, il sait aussi susciter notre intérêt : qui est Legu, l'androïde ? La mère de Rico est-elle réellement morte ? A quoi servent les reliques et quelles sont leur origine ? Quelles autres monstruosités vont découvrir nos deux héros ? Plus les héros descendent, plus les horreurs sont insoutenables et plus le contraste entre la rondeur des dessins et l'ambiance malsaine s'accroît... Déjà un anime, 8 volumes en cours au Japon, le succès de cette série est bien mérité ! Si vous n'avez pas trop une âme sensible, comme les héros verniens ou Rico, plongez dans profondeurs de l'abysse...
Illustrations de Voyage au centre de la terre © Edouard Riou
En effet, au XIXeme siècle, Verne avait déjà imaginé un voyage au centre de la terre. Raconté à la première personne par le neveu de l'excentrique géologue Lidenbrock, Axel décrit comment le décryptage de runes leur permet de trouver un chemin dans les profondeurs de la terre. Malgré un habillage scientifique, Voyage au centre de la terre est surtout un roman d'aventures extraordinaires autour du duo comique, formé par les deux savants : l'original Lidenbrock se précipite pour un voyage vers l'Islande, descend dans un volcan, perd son neveu Axel et le retrouve, trouve une mer souterraine, des poissons préhistoriques. Chaque chapitre est ponctué par une nouvelle étape du voyage.
Le voyage vers le Nord repose sur celui effectué par Jules Verne en 1860. Il utilise donc ses notes. De même, les noms des scientifiques, les théories et les outils utilisés existent réellement et l'auteur du Tour du monde en 80 jours cite même ses sources : Voyage dans les mers du nord de Charles Edmond, Voyage en Islande de Jean Paul Gaimard et Voyage en Islande d'Olafsen et Povelsen (p. 116 et notice sur la genèse du roman, p. 395)... Cependant, l'aspect scientifique ne doit pas masquer le burlesque, la mélancolie et l'imagination verniens. Ce merveilleux roman d'aventures est illustré par les non moins merveilleuses illustrations d'Edouard Riou...
Tsukushi, Made In Abyss, volumes 1, 2, 3 (6 volumes, en cours), Ototo, Italie, Janvier 2019.
Verne Jules, Voyage au centre de la terre, folio, France, juillet 2019, 456 p.
Autre roman : Les cinq cents millions de la Begum
Roper Pierre, "Mondes souterrains : qu'y a-t-il à découvrir sous terre ?", France culture, mis en ligne le 28 décembre 2017. URL : https://www.franceculture.fr/geographie/mondes-souterrains-voyager-sous-lhorizon
Pinelli Pierre, "Le Havre célèbre Edouard Riou, merveilleux illustrateur de Jules Verne", Télérama, mis en ligne le 3 mars 2019. URL : https://www.telerama.fr/sortir/le-havre-celebre-edouard-riou,-merveilleux-illustrateur-de-jules-verne,n6144470.php
Pl. 1 : MADE IN ABYSS © Akihito Tsukushi
La malédiction de Locki de Hachi (volume 1): ISSN 2607-0006
La malédiction de Locki © 2019 Hachi by SHUEISHA Inc.
Parmi les dernières sorties de septembre 2019, vous avez peut-être remarqué La malédiction de Locki, qui comporte une jaquette réversible. L'histoire est particulièrement
attrayante : une jeune sorcière peint avec son sang et donne vie à ses tableaux pour aider les gens à résoudre des problèmes de la vie quotidienne. Malheureusement, ces peintures se métamorphosent en monstres et la jeune fille Aisya charge Locki, une de ses créations, de détruire ses oeuvres.
Pl. 1 La malédiction de Locki © 2019 Hachi by SHUEISHA Inc.
Comme dans Dorian Gray d'O. Wilde et d'autres récits fantastiques tel que "Le portrait ovale" d'E. A. Poe, les peintures sont vivantes et de petites enquêtes se constituent autour des oeuvres d'art, dans lesquelles Locki cherche à enfermer les créatures dans leur tableau. Cela crée un scénario assez décousu avec des facilités narratives et des clichés du shonen : un repris de justice appartenant à une guilde apparaît soudainement non pas sorti d'un tableau mais de nulle part.
Les cases et les dessins en pleine page apportent de la variété à un trait stylistique assez banal (planche 1).
Comme pour l'intrigue, l'esthétique de ce manga oscille entre des passages très beaux, très travaillés (planche 2) et d'autres qui paraissent inachevés, remplis de blancs. Ce manga sort des cadres par son thème, son héros et ses caractéristiques mais entre dans les normes avec la présence de guildes, d'un duo comique. La dispersion de l'intrigue prendra-telle fin avec ce premier volume ? Vu l'originalité de certains aspects de ce shonen, peut-être qu'un deuxième volume est nécessaire pour se faire une idée sur cette série...
Pl. 2 La malédiction de Locki © 2019 Hachi by SHUEISHA Inc.
Hachi, La malédiction de Locki, (6 volumes en cours), Delcourt Tonkam, Italie, 2019, 201 p.
Challenge Halloween 2019, les 10 ans, organisé par Lou et Hilde.
Demon slayer de Koyoharu Gotouge (volume 1) : ISSN 2607-0006
Demon slayer © 2019 by Koyoharu Gotouge/ SHUEISHA Inc.
Après une première publication interrompue, sous le nom des Rôdeurs de la nuit, Demon slayer, un shonen atypique essentiellement dans son graphisme, est à nouveau édité. En effet, l'histoire est celle d'un shonen classique : Tanjiro, un jeune marchand de charbon cherche à se venger des démons mangeurs de chair humaine qui ont tué sa famille à l'exception de sa soeur. Cette dernière, Nezuko, est toutefois devenue un monstre, un vampire qui arrive à dominer ses instincts grâce aux liens qui la relient à son frère. Tanjiro devra devenir le meilleur des pourfendeurs de démons pour venger sa famille.
Pl. 1 : Demon slayer © 2019 by Koyoharu Gotouge/ SHUEISHA Inc
Cependant, cette histoire où Tanjiro doit apprendre des techniques de combat, est sublimée par de magnifiques dessins faisant souvent penser à des estampes (planche 1). On peut donc admirer les motifs des kimonos, ce manga se déroulant sous l'ère Taisho (1912-1926), les traits de mouvement ressemblant à des vagues de l'école de Yukiyo-e, et les jeux de contraste entre le noir et le blanc (illustration 1).
Chaque case a un arrière-plan rarement vide, les fonds présentant des motifs et les paysages étant extrêmement détaillés. On est loin de l'esthétique traditionnelle que l'on retrouve dans nombre de mangas actuels que ce soit Frankenstein family ou Le bateau de Thésée : le style graphique de Koyoharu Gotouche est immédiatement reconnaissable comme celui d'Asano ou de Nihei. On s'attache évidemment au héros, non pas parce qu'il arrive à se surpasser et à devenir le meilleur des pourfendeurs mais parce qu'"il a de la pitié pour ces monstres". "Il sent l'odeur de la gentillesse en lui", comme le remarquera son maître d'arme. Un série à suivre !
Illustration 1 : Demon slayer © 2019 by Koyoharu Gotouge/ SHUEISHA Inc
Gotouche Koyoharu, Demon slayer, volume 1 ( 17 en cours), Panini, Italie, 2019.
Challenge Halloween, 2019, organisé par Lou et Hilde.
Sur le web : podcast "Faut-il se (re)lancer dans le manga demon slayer ?", la 5° de couv
vlog "cinq raisons d'aimer Demon slayer" L'ermite moderne
Croquet Pauline, "Après un lancement confidentiel, "Demon slayer" entend se hisser au rang de manga culte", Le monde, mis en ligne le 18 septembre 2019. URL : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2019/09/18/apres-un-lancement-confidentiel-demon-slayer-entend-se-hisser-au-rang-de-manga-culte_5511966_4408996.html
Mes voisins les esprits de Shirotori Ushio (volumes 1 et 2) : ISSN 2607-0006
© 2019 Ushio Shirotori / MAG Garden
Le shonen Mes voisins les esprits permet une découverte passionnante du folklore japonais à travers l'histoire de Yachiho, une jeune lycéenne, qui emménage dans une maison hantée, pour retrouver des notes sur le royaumes des morts, censées lui permettre de retrouver sa mère. Le premier volume pose rapidement les bases de l'histoire et paraît cahotique, hésitant entre le surnaturel et la tranche de vie d'une lycéenne. Les personnages sont peu approfondis, de même que les situations.
Pl. 1 © 2018 Ushio Shirotori / MAG Garden
Le deuxième volume présente parfois les mêmes défauts - par exemple le père apparaît et repart brusquement et sans raisons en deux ou trois pages... Cependant, la mangaka arrive à mieux développer des situations quotidiennes mettant en scène des humains et leurs rapports aux esprits dans le monde contemporain : "Même quand ils ne les voient pas et n'en ont pas conscience... certains humains interagissent ainsi avec les esprits à travers leurs rites et
Pl. 2 © 2018 Ushio Shirotori / MAG Garden
coutumes", déclare Moro (p. 59, volume 2), le gardien du passage vers le monde éternel, qui guide la jeune fille dans l'univers des yokai.
Le monde des créatures surnaturelles et les maisons hantées évoquent la peur et des situations angoissantes. Ce n'est absolument pas le cas de ce manga dont la joliesse du dessin (planche 1) et les situations amusantes créent plutôt un univers proche de celui de Miyazaki. L'intrigue est un peu faible et brouillonne mais l'attrait de ce deuxième tome se situe aussi dans les bonus qui sont consacrés à des esprits nippons apparus dans de petites saynètes de la vie du personnage principal ( planche 2). Espérons que la suite sera à l'image de ce deuxième opus, un reflet des croyances japonaises avec un aspect pédagogique et qu'on en apprendra plus sur les notes du royaume des morts...
Ushio Shirotori, Mes voisins les esprits, (2 volumes, série en cours), Doki Doki, Italie, septembre 2019.
Challenge Halloween 2019 organisé par Lou et Hilde
Sur le web : Andureau William, "Dans l'imaginaire japonais, toute chose, animée ou non, peut être habitée par un esprit", Le monde, mis en ligne le 2 mai 2016. URL : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/05/02/dans-l-imaginaire-japonais-toute-chose-animee-ou-non-peut-etre-habitee-par-un-esprit_4912192_4408996.html
Une vie au zoo de Saku Yamaura : ISSN 2607-0006
Une vie au zoo ©nobi nobi ! 2017 Yamaura
Illustration 1 : Une vie au zoo ©nobi nobi ! 2017 Yamaura
Quand votre éditeur vous propose d'écrire un manga se déroulant dans un zoo que faites-vous (Illustration 1 : elle est dans un style graphique différent du reste de la BD. En une planche finale, la mangaka décrit sa démarche) ? Saku Yamaura décide de se rendre au zoo le plus proche, d'observer les soigneurs et de se documenter ( une bibliographie d'une douzaine d'ouvrages apparaît en fin de manga). De cette documentation naît Une vie au zoo à laquelle la mangaka a rajouté une petite dose de fantaisie : en effet, Haruko arrive dans la zoo, où malgré sa maladresse, elle parvient à trouver des solutions pour aider bêtes et humains. Elle a la particularité d'avoir un ordorat infaillible qui l'aide dans l'analyse des sentiments de chacun...
Ce manga retrace une tranche de vie nous permettant de découvrir la vie des soigneurs et leurs rapports aux animaux. Pourquoi badigeonner un hippopotame d'huile d'olive ? Comment amener une girafe à allaiter son petit ? Centré autour du personnage Haruko, on découvre son caractère et ses difficultés à s'intégrer dans la société depuis son enfance. Elle doit faire face à un directeur de zoo inflexible : "Un zoo, c'est une entreprise comme une autre", "ne cherche pas à sauver les animaux" (p. 40) ou "Content de voir que Mimiko [les hippopotames] va nous rapporter de l'argent".
Ce jôsei présente des traits sobres et simples avec quelques caractéristiques de ce genre comme les fonds subjectifs avec des étoiles - mais la dessinatrice n'en emploie pas avec excès - ou des coeurs après certains dialogues. La narration graphique n'est pas complexe et un peu répétitive mais l'ensemble est intructif. Elle a donné une allure enfantine et mignonne à l'héroïne, particulièrement candide, et communique bien son entrain, son enthousiasme, sa passion pour les animaux, ce qui donne envie de connaître la suite de ses aventures mouvementées et d'en savoir davantage sur le fonctionnement des zoos...
Planche 1 : Une vie au zoo ©nobi nobi ! 2017 Yamaura
Yamaura Saku, Une vie au Zoo (tome 1), (4 volumes, série terminée), Nobi nobi, Jouve, octobre 2018, 172 p.
Pluto (volumes 1 à 8) d'Urasawa et Nagazaki : ISSN 2607-0006
PLUTO © by Naoki URASAWA / Studio Nuts, Osamu TEZUKA, Takashi NAGASAKI, Tezuka Productions
Les univers futuristes et le questionnement sur les intelligences artificielles vous passionnent ? Commencez-donc la série Pluto qui mêle enquête policière et science-fiction. Cette série de 8 volumes mêlent aussi plusieurs références. Rappelons que Genette, dans Palimpsestes parle de cette manière de l'intertextualité : "Disons que l'art de " faire du neuf avec du vieux" a l'avantage de produire des objets plus complexes et plus savoureux que les produits "fait exprès" : une fonction nouvelle se superpose et s'enchevêtre à une structure ancienne, et la dissonance entre ces deux éléments coprésents donne sa saveur à l'ensemble" (p. 556)*.
Pourquoi parler d'intertextualité et de "saveur" ? Pluto reprend un personnage qui procure le plaisir de la madeleine proustienne : Astro Boy, créé par Osamu Tezuka. En 2003, pour l'anniversaire de ce personnage icônique du manga, deux mangakas Urasawa et Nagazaki lui rendent hommage à travers une enquête : Mont-Blanc, l'un des des 7 robots les plus forts du monde, qui a participé à une guerre en Asie centrale, est assassiné. Gesicht, un androïde spleenétique, enquête sur ces assasinats étranges : sur les lieux du crime, on retrouve la tête des morts entourée de deux cornes, référence à Pluton, dieu des enfers.
L'univers développé dans ce manga n'est pas sans rapeller Blade runner avec l'enquête et la lutte entre des cyborgs et les hommes. Un IA en forme d'ours, des implants de robots effacés quant à eux font écho à d'autres nouvelles de P. K. Dick. La loi empêchant les robots de tuer des humains renvoie aux lois de la robotique d'Asimov. Urasawa a créé un monde riche, entrant en résonance avec la littérature d'anticipation mais aussi avec d'autres mangas : certains combats rappellent le genre du mécha. On est admiratif devant l'intrigue complexe se déroulant dans
Pl. 1 : PLUTO © by Naoki URASAWA / Studio Nuts, Osamu TEZUKA, Takashi NAGASAKI, Tezuka Productions
différents pays - dont le trait est magnifique comme la ville en pleine page dans les planches 1 et 2, volume 6 - et gravitant autour de différents personnages, dont des robots extrêment attachants par leur humanité. Les dessins, exceptés les paysages, sont plutôt sobres et les pages sont organisées de manière très rigides, multipliant des cases montrant des gros plans de visages (planche 3, volume 8). Les machines ont-elles une âme ? Les hommes et les robots peuvent-ils cohabiter ?
Pl. 2 : PLUTO © by Naoki URASAWA / Studio Nuts, Osamu TEZUKA, Takashi NAGASAKI, Tezuka Productions
"Les scientifiques comme nous... n'ont-ils aucune limite à respecter dans leurs recherches... ?, demande Tenma le créateur d'Astro (p. 55, volume 8). A un autre niveau de lecture, cette BD japonaise s'interroge sur l'origine du mal et du bien. Les deux derniers tomes se dispersent et sont mélodramatiques à souhait mais ce seinen est vraiment à dévorer...
Urasawa et Nagazaki, Pluto, (8 volumes, série terminée), Big Kana, Italie.
* Genette, Palimpsestes, Points essais, Saint-Amand, novembre 1982, 574 p.
Sur le web : Brethes Romain, "Naoki Urasawa, dieu du manga", Le point pop, mis en ligne le 23 janvier 2018. URL : https://www.lepoint.fr/pop-culture/bandes-dessinees/naoki-urasawa-dieu-du-manga-20-01-2018-2188312_2922.php
Pl. 3 : PLUTO © by Naoki URASAWA / Studio Nuts, Osamu TEZUKA, Takashi NAGASAKI, Tezuka Productions
Démokratia (volume 1) de Motoro Mase : ISSN 2607-0006
© Kazé - 2017
L'une des branches exploitées par la SF est le questionnement sur les intelligences artificielles, les robots. Démokratia interroge aussi un système politique : la majorité a-t-elle toujours raison ? Voter en groupe permet-il de trouver la meilleure solution ? En effet, dans ce seinen de Motoro Mase, deux ingénieurs, Igumi et Taku, décident secrètement de créer une intelligence artificielle qui aurait pour but d'atteindre la perfection en réalisant les décisions de plus de 3000 participants. Ces derniers ont le même champ de vision que Mai, le robot dont ils ont les commandes. Evidemment, plusieurs règles sont imposées : aucun participant ne doit rencontrer la machine, ni savoir où elle est. C'est pourquoi ses phrases et les visages qu'elle perçoit sont cryptés. Si un des participants n'est pas régulier, il sera immédiatement remplacé par une autre personne, etc...
Suivre la majorité est-ce juste ? Pour palier à ce défaut, l'ingénieur inscrit parmi les choix deux opinions minoritaires : "Je sais bien que les opinions minoritaires n'ont que très peu de chance d'être suivies... Mais après tout, l'homme n'est jamais à l'abri d'un éclair de génie ! Il s'agit de laisser une chance aux voix différentes de s'exprimer". Notre androïde va-t-il devenir un modèle à suivre en étant la somme des connaissances de 3000 personnes aléatoirement choisies ? De minuscules détails créent un sentiment de malaise. Si vous connaissez la série Black mirror, on se croirait plongé dans le même type d'univers dans lequel l'angoisse est diffuse.
Ce premier tome pose longuement les bases du programme démokratia. Nous faisons aussi connaissance avec l'androïde, qu'il est impossible de différencier avec un humain ce qui lui permet de rentrer en interaction avec des gens. On suit aussi plus particulièrement trois participants, dont les vies personnelles - qui sont souvent d'une grande noiceur - influent sur les décisions qu'ils font prendre à Mai. Cependant si l'exposition est très longue, dès ce premier opus, un drame survient : Mai rencontre un désaxé. Que choisiront de faire les participants du programme Démokratia ? Qui sera responsable de ses actions ?
A travers des dessins dont le trait est plutôt réaliste, sauf pour l'androïde et le psychopathe, mais surchargé de détails (planche 1), le mangaka arrive à nous donner envie de poursuivre l'histoire alors même qu'il n'y a pas de personnages principaux. Justement, les cadrages subjectifs permettent une meilleure identification aux participants. Les choix pour représenter les discussions entre participants virtuels varient, évitant l'ennui. Surtout, on est curieux de savoir à quoi va aboutir le questionnement sur cette expérience dont la violence est sous-jacente. Sous un postulat en apparence simpliste, à savoir la majorité a-t-elle raison, Motoro Mase l'a renrichi de plusieurs données (la cyberculture, l'anonymat et la responsabilité des utilisateurs des réseaux sociaux...) qui incite à lire la suite de cette série.
Mase Motoro, Démokratia, volume 1 ( 5 volumes, série terminée), Kaze, février 2017, 198 p.
LC avec A girl from earth
Sur le web : minisites Kazé
Dédale 1 et 2 de Takachimi : ISSN 2607-0006
©Takachimi
Illustration 1 : Dédale ©Takachimi
En 2009, Sword art online lançait la mode des joueurs de jeux vidéos prisonniers d'un monde virtuel. Voici deux héroïnes prises dans le même type de piège numérique. Etudiantes, tout oppose les deux personnages principaux : Yôko (illustration 1 ci-dessus) a un physique ingrat mais elle est rationnelle alors que Reika a un physique avantageux mais elle est complètement inadaptée à la vie réelle. Son métier consiste à trouver les bugs dans la conception des jeux : pour elle, les "bugs", c'est la beauté", " la porte vers des mondes inconnus dont personne, pas même le concepteur du jeu ne saurait imaginer l'étendue" (p. 6).
Ce manga, un seinen, commence alors que Reika et Yôko déambulent dans un monde familier mais étrangement agencé. Persuadées d'être dans un jeu vidéo, elles imaginent trois solutions pour sortir de ce lieu : 1 . "Trouver un moyen de prendre contact avec l'extérieur
2. Tout casser pour sortir de ce dédale de force.
3. "Rester ici et devenir la maîtresse des lieux". (p. 19)
Evidemment, ces deux personnages au caractère complètement opposé créent un duo comique. Reika s'amuse et emploie ses talents de gameuse pour trouver les clés de cet univers alors que Yôko ne rêve que de s'en échapper pour aller retrouver son conpagnon. Mais le jeu va bientôt se transformer en survival avec la rencontre de monstres.
A ce concept déjà vu dans Tron : L'héritage de Kosinski ( 2010), Ready player one de Spielberg ( 2018), Edge of tomorrow de Doug Liman (2014), le mangaka mêle plusieurs influences comme la science-fiction, les jeux vidéos avec les items, les peintures d'Escher (Planche 1, ci-dessous) ou des monstres comme pac man ou d'autres plus lovecraftiens pour créer un univers insensé. D'ailleurs une grande place est donnée aux arrières-plans, aux décors.
"Tu ne sers à rien dans la vraie vie, mais dans ce genre de situation t'es carrément au top !", déclare Yôko à Reika ou " La quête principale, le véritable but, c'est de trouver les failles du décor pour partir à la découverte d'une infinité de chemins ! Le concept est révolutionnaire" (p. 86) : Takachimi fait l'éloge des mondes virtuels tout en les commentant et en nous entraînant dans un univers toujours plus surprenant et renversant. Deux choix s'ouvrent devant vous ? Alors choisissez le troisième ! Il parle aussi de l'amitié et des rapports des gamers à la réalité augmentée, sujet éminemment contemporain. Visuellement très inventif, l'univers de Dédale fait aussi l'éloge de l'imagination, de tout ce qui va à l'encontre des concepts préétablis. Deux opus à découvrir !
Pl. 1 : Dédale © Takachimi
Takachimi, Dédale, Ed. Doki Doki, 2 volumes, Italie, 2016, 244 p.
Tron : L'héritage de Kosinski, Netflix, 2010, 2h avec Jeff Bridges, Garrett Hedlund, Olivia Wilde
Edge of tomorow, de Doug Liman, Netflix, 2h, 2014, avec Tom Cruise, Emily Blunt
Sword art online de Reki Kawahara et Tomohiko Ito, Netflix, anime saisons 1 et 2
Sur le web : A girl from eart,
Jarno Stéphane, "Dédale de Takachimi", Télérama, mis en ligne le 16 août 2017. URL : https://www.telerama.fr/livres/dedale,147894.php