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1001 classiques

9 février 2010

Les paupières d'Yoko Ogawa : ISSN 2607-0006

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Attirée par la gracieuse couverture représentant une fragile fleur d'une couleur pourpre violacée, et connaissant très mal la littérature japonaise, j'ai voulu découvrir ce recueil de nouvelles dont le ton très divers et très étrange laisse le lecteur dans une sensation de confusion. Ce recueil est composé de 8 nouvelles :" C'est difficile de dormir en avion", " L'art de cultiver les légumes chinois", " Les paupières", " Le cours de cuisine", "Une collection d'odeurs", "Blackstore", "Les ovaires de la poétesse" et "Les jumeaux de l'avenue des Tilleuls".

Quatrième de couverture : " Une petite fille touchée par l'élégance d'un vieil homme le suit dans son île et devient son alliée face à l'hostilité du monde environnant. Dans la maison vit un hamster, au regard dépourvu de paupières. Une japonaise prend l'avion pour l'Europe. A ses côté s'installe un homme qui lui parle puis s'endort. dans l'obscurité du vol de nuit, l'inconnu lui révèle alors l'existence des "histoires à sommeil". Une jeune femme part en voyage pour tenter de fuir ses insomnies. En s'éloignant de son pays, de son amant et de ses habitudes, elle espère trouver suffisamment d'étrangeté pour, le soir venu, s'endormir tranquillement. Dormir, s'endormir, s'éloigner du monde pour retrouver le chemin de l'inconscient, tel est le propos de ce recueil de nouvelles à lire comme une très belle introduction à l'oeuvre de Yoko Ogawa, aujourd'hui mondialement reconnue."

Toutes les nouvelles sont très étranges car on saisit mal l'objet ou le sujet du récit. S'arrêtant abruptement, elles manquent de consistance et chaque fin est énigmatique. Un lien se tisse entre tous ces courts récits, celui du sommeil ou du rêve. Certaines nouvelles se teintent de fantastiques, d'autres cachent une réalité plus horrible sous une belle écriture, où sont notés d'infimes détails : la mutilation, l'inconnu terrifiant sont d'autres thèmes récurrents des récits où toujours une note discordante apparaît dans un quotidien anodin. Par exemple, le narrateur de" Blackstore" raconte comment son frère un champion de natation se réveille un jour le bras bloqué au niveau de l'oreille. Pourquoi ? Ce bras se fossilise et finit pas se détacher. A la fin de la nouvelle, le frère se retrouve dans un hôpital et nous n'avons toujours aucune explication... 

Même si l'écriture est impeccable, fine, fluide, et que les notations de sensations sont particulièrement réussies, je n'ai pas du tout été conquise par ces nouvelles, plutôt effrayantes, qui tournent court et qui n'arrivent pas à susciter une atmosphère dans laquelle on peut s'immerger.

 Ogawa,  Les paupières, Babel, 203 p.

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7 février 2010

Sherlock Holmes de Guy Ritchie : ISSN 2607-0006

Sherlock Holmes - Bande Annonce Officielle (VF) - Robert Downey Jr / Jude Law / Guy Ritchie

J'hésitais à aller voir les nouvelles aventures du célèbre détective créé par Conan Doyle ( biographie  sur le site Larousse), lorsque j'ai lu un billet élogieux sur le site de Lou qui m'a incitée à aller le voir, jugez un peu : " Et si vous aimez Londres et le XIXe, les vues de la capitale sont magnifiques (peut-être les plus belles scènes dans une Londres victorienne pour moi)". Effectivement, la reconstitution de Londres, les costumes d'époque et les décors d'intérieur sont tout à fait époustouflants.

Sherlock Holmes de Guy Ritchie est un film comico-policier-d'actions. Le spectateur est d'emblée projeté en pleine cérémonie satanique : de nombreux meurtres rituels ont été commis par Lord Blackwood. Condamné à mort, il ressuscite pour assujettir Londres. Face à lui, deux adversaires de taille, Holmes et Watson vont contrecarrer ses plans les plus diaboliques, grâce à la légendaire déduction infaillible de Holmes.

En ce qui concerne les personnages, Holmes n'en porte que le nom car il est métamorphosé en homme d'action, boxeur hors pair... Echevelé, excentrique et déjanté, il ressemble davantage à un dandy décadent, maniant l'humour et l'ironie, qu'au vieux limier décrit par Conan Doyle. Un des aspects gardés par le réalisateur est l'amour de Holmes pour les déguisements, ce qui rend loufoque certaines scènes. Watson n'est plus un stupide acolyte mais l'égal d'Holmes. La mise en scène est un peu surchargée en combats, trop "blockbusterisé" pour vraiment convaincre. On n'échappe pas à la traditionnelle course poursuite, aux explosions titanesques... Cependant, l'intrigue ésotérique est digne d'être résolue par Holmes, les acteurs (Jude Law et Downey JR., les scènes où il apparaît drogué et hagard semble être du vécu tant elles sont vraisemblables) très drôles et Londres merveilleux. Décidément, Sherlock Holmes a le vent en poupe, pour notre plus grand plaisir ! Bien que très éloigné de l'univers de Conan Doyle, on aime ce Sherlock Holmes modernisé et surtout le Londres du XIXeme siècle.

6 février 2010

Anna Karenine, c'est moi d'Elizabeth Jacquet : ISSN 2607-0006

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 "Etre une héroïne de roman ne m'empêche pas de prendre le métro, au contraire. Portée par ma vocation, je m'y engouffre avec exaltation. Différents mondes superposés les uns aux autres ne nous apprennent-ils pas à vivre dans plusieurs dimensions ?"
Etablie avec succès dans sa nouvelle activité de traiteur à domicile, Alice Quester cherche toujours des réponses à ses multiples questions : en quoi consiste notre existence ? Comment lui donner l'intensité désirée ?
Son projet :
1. Lire et relire Anna Karenine
2. Se pencher sur le cas de Tolstoi.
3. Suivre de près sa soeur aînée, son frère altermondialistes, son voisin de palier... et aussi cet homme aperçu au volant d'une voiture ou sur les pages people d'un magazine : Neil Larue.
4. Voir si tous ces destins mêlés au sien peuvent former quelque chose de cohérent : un vrai roman de la vie, ou une vraie vie de roman.

1. Lire et relire Anna Karenine : Dès les premières pages, on est entraîné dans l'univers de l'héroïne à travers les plus beaux extraits du roman de Tolstoi, Anna Karenine vue par Vronski. "Il s'arrêta pour laisser sortir une dame, que son tact d'homme du monde lui permit de classer d'un coup d'oeil parmi les femmes de la meilleure société. [...] Il se retourna, ne pouvant résister au désir de la regarder encore"... On découvre ainsi l'héroïne la plus célèbre du grand romancier russe, mais le personnage est aussi un véritable révélateur de sentiments pour Alice : "Anna est la part d'enfant perdu affolé que nous portons en nous lorsque notre désir excède les normes du monde qui nous entoure". Tour à tour, au gré de l'histoire d'Anna et des autres personnages du roman de Tolstoi, Alice s'interroge sur l'amitié, l'amour, la mort, la solitude, ses relations aux autres. "Comment combler nos vides intérieurs ?" "Dans le roman comme dans la vie on ne sait rien, où est l'erreur, le bien, l'existence qu'il nous faut, à quoi à qui peut-on s'en remettre, le hasard existe-il, y-a-t-il une providence ?"... Oui, il faut lire et relire Anna Karenine : on l'aime, on suit ses pas et on souffre avec elle.
2. Se pencher sur le cas de Tolstoi. L'auteur s'est efforcé, tout en retraçant la vie d'Anna Karenine et de son héroïne Alice Quester, d'y mêler des éléments de la vie de Tolstoï et notamment la genèse du roman. On découvre ainsi un auteur russe préoccupé des problèmes de son temps, sensible à la misère sociale. Il est aussi décrit et perçu à travers le journal de sa femme comme un homme aimant l'action, heureux dans le mariage et obsédé par son roman, son Anna : on nous livre peu à peu la difficile écriture du roman, sa publication, sa réception. Des petites anecdotes au sujet de son amitié tumultueuse avec Tourgueniev sont tout à fait plaisantes : "7 février 1856. Disputé avec Tourguéniev. 13 février. Dîné chez Tourgueniev ; nous nous entendons de nouveau bien. 12 mars. Avec Tourgueniev, je crois que je suis définitivement brouillé. 20 avril. Eté chez tourgueniev et très gaiement bavardé avec lui [...]"
3. Suivre de près sa soeur aînée, son frère altermondialistes, son voisin de palier... et aussi cet homme aperçu au volant d'une voiture ou sur les pages people d'un magazine : Neil Larue. Les personnages secondaires, sans consistance, viennent abîmer l'histoire centrée autour des trois personnages principaux : Tolstoï, Anna et Alice.
4. Voir si tous ces destins mêlés au sien peuvent former quelque chose de cohérent : un vrai roman de la vie, ou une vraie vie de roman. Dommage, les grandes et bonnes idées ne font pas forcément les bons romans. L'écriture est complètement décousue et parsemée parfois de certains mots et d'un style relâchés. L'impression de désordre est renforcée par la superposition des différentes vies des personnages, par les pensées erratiques de l'héroïne et par des citations agréables à lire mais en trop grands nombres. Certains passage ressemblent davantage à des prises de notes qu'à un roman ! L'auteur semble montrer que toute vie peut être un roman et tout roman est une vie. Ah ! Comme on regrette cette écriture désordonnée qui gâche le plaisir de la lecture. L'intrigue a un air d'inachèvement et de divagations portées par le hasard ou par le vent...

Lorsqu'on referme ce livre, on a aimé Anna Karenine, celle de Tolstoi mais celle de Jacquet, un peu moins. Alice Quester, héroïne du XXIeme siècle est beaucoup moins séduisante et romanesque que sa comparse. Ici, la véritable héroïne est Anna Karenine. Lisez le roman de Tolstoi...

Roman lu dans le cadre d'un partenariat : je remercie les éditions Philippe Rey et BOB pour cette découverte.

 Jacquet, Anna Karenine, c'est moi, Ed. Philippe Rey, 325 p.

4 février 2010

Corps et biens de Desnos : ISSN 2607-0006

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Le nom de Desnos est associé au sommeil hypnotique et au surréalisme et Corps et bien s'inscrit dans cette révolution poétique. Les poèmes de Desnos oscillent entre rêves et déconstruction du langage, poésie émouvante ou ludique. Les surréalistes ont rejeté toutes les normes, les contraintes, au nom du hasard et de l'inconscient. "Le langage cuit" est un langage usé  : il faut lui donner plus de saveur et surprendre le lecteur. Se présentant comme des énigmes, chaque poème renouvelle le langage et brise les "formes prisons".

"langage cuit II"

d'une voix noire

d'une voix maigre

m'a séduite

dans la nuit mince

dans le jour des temps

se vêtir d'une crêpe de chevelure

la muse aux seins mourants

Et la voix ronde

dit que la voie est esclave

Quelle lumière cuite ce jour-là !

Voici un jeu sur les pléonasmes : "vent nocture"

" Sur la mer maritime se perdent les perdus
Les morts meurent en chassant
des chasseurs dansent en rond une ronde
Dieux divins! Hommes humains!
De mes doigts digitaux je déchire une cervelle
cérébrale.
Quelle angoissante angoisse!
Mais les maîtresses maîtrisées ont des cheveux chevelus
Cieux célestes
terre terrestre
Mais où est la terre céleste?"

Dans Corps et bien, Desnos redonne la vie aux mots figés dans des expressions lexicalisées, joue sur la matérialité du mots comme dans la section Rrose Sélavy, sur leur sonorité. Desnos manie les mots et en exploite toutes les richesses de la langue : anagramme, paronomase, contrepèterie, antonyme, homophone, les mots sont à l'honneur. Cependant, cette poésie n'est pas seulement ludique, surprenante mais elle est aussi une réflexion sur le langage. Les dernières sections comme A la mystérieuse laissent percer un certain lyrisme et onirisme. Le rêve imprègne aussi ce magnifique recueil hallucinatoire :

J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de
baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est
chère?
J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant
ton ombre à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient
pas au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante
et me gouverne depuis des jours et des années, je
deviendrais une ombre sans doute.
O balances sentimentales.
J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute
que je m'éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes
les apparences de la vie et de l'amour et toi, la seule
qui compte aujourd'hui pour moi, je pourrais moins
toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu.
J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec
ton fantôme qu'il ne me reste plus peut-être, et pourtant,
qu'a être fantôme parmi les fantômes et plus ombre
cent fois que l'ombre qui se promène et se promènera
allègrement sur le cadran solaire de ta vie.

Un recueil, mais aussi le portrait d'un homme : le rêve comme mode de vie.

Desnos, Corps et biens, Poésie Gallimard, 202 p.

 

27 janvier 2010

Madame Bovary de Flaubert : ISSN 2607-0006

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Qui ne connaît pas le "bovarysme" ? Ce néologisme a été formé à partir du nom de la célèbre héroïne de Flaubert ( biographie ici) : Emma Bovary. Cette dernière est la fille d'un riche fermier. Son père blessé est soigné par Charles Bovary, un homme médiocre ayant fait un mariage médiocre dont le père est un ancien noceur ruiné. Charles, attiré par cette jeune fille, va l'épouser à la mort de sa première femme. Mais Emma, dès les premiers jours de son mariage ressent déjà une inadéquation entre ses rêves et la réalité : "Et Emma cherchait à savoir ce que l'on entendait au juste dans la vie par les mots de félicité, de passion et d'ivresse, qui lui avaient paru si beaux dans les livres" . Partagé entre sa prosaïque vie et ses rêves romanesques, Emma déchante et déchoit.

Classique parmi les classiques, Emma Bovary m'avait pourtant fait une effroyable impression lorsque je l'ai lu, pour la première, fois jeune. Avec le temps, on s'aperçoit que la médiocrité décrite et la narration de l'ennui quotidien, des petits riens d'une vie peut provoquer un sentiment de rejet. Cependant à y regarder de plus près, Emma Bovary n'est pas seulement un chef-d'oeuvre de réalisme, il est aussi une réflexion sur la vie, la mort, l'amour.

Emma Bovary est un personnage emblématique : elle incarne la désillusion d'un personnage confronté à une vie décevante. Emma est imprégnée de lectures de Lamartine et Chateaubriand et elle se voit obligé de subir la "conversation de Charles [qui] était plate comme un trottoir de rue". Sa vie est morne ; l'ennui, le quotidien ronge l'héroïne et le bal chez le marquis de Vaubyessard ne va faire qu'exacerber ses rêves de luxe (fin première partie). Son déménagement à Yonville bouleverse-t-elle sa vie ? Elle qui dit détester "les héros communs et les sentiments tempérés, comme il y en a dans la nature", elle y retrouve la même routine et des personnages insignifiants. Bovary est plus stupide que jamais et ne comprend pas sa femme. Il passe à côté de sa vie mais sans se poser de questions, sans souffrir. Quant à Rodolphe, l'amant d'Emma, c'est un rustre : il n'est qu'une désillusion supplémentaire dans la vie de l'héroïne.

Roman scandaleux parce que l'auteur ne condamne pas son héroïne, Madame Bovary ne fait pas l'éloge de l'adultère mais montre la condition de la femme mal mariée au XIXeme siècle. L'auteur ne condamne pas la lecture de romans mais un certain romantisme larmoyant. A chaque événement, Emma se projette dans les rêves décrits dans les livres : pour elle le coup de foudre est annoncé par des éclairs, des tempêtes... Son voyage avortée avec Rodolphe devait lui faire découvrir des villes dont les dômes seraient d'or, et elle est "en plein Walter Scott" lorsqu'elle assiste pour la première fois à un opéra... Le bovarysme, pour schématiser, c'est prendre la fiction pour la réalité. Surtout, il dénonce violemment, à mots couverts, l'étroitesse d'esprit des personnages, leur médisance, leur suffisance. Le curé se dit "guérisseur" des âmes mais lorsqu'Emma lui dit souffrir, ce dernier lui répond qu'il souffre aussi de la chaleur et puis du moment qu'il y a du feu et de la nourriture, de quoi se plaindrait-on ?

La lecture de ce roman de Flaubert réussit à faire surgir tout un monde médiocre et désenchanté, tout en intéressant le lecteur sur le sort de sa malheureuse héroïne. Cette relecture a été une belle redécouverte.

Flaubert, Madame Bovary, Petits classiques Larousse, 318 p.

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25 janvier 2010

Salomé d'Oscar Wilde : ISSN 2607-0006

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Salomé hante la littérature fin de siècle, elle apparaît dans le roman A Rebours de Huysmans, influence la Salammbô de Flaubert... Loin des sources historiques et bibliques, Wilde (biographie ici) métamorphose Salomé en femme fatale fin de siècle. Hérode a épousé Hérodias, la femme répudiée par son frère. Iokanann, un prophète, qui a critiqué ce mariage immoral, a été enfermé dans une citerne au coeur du palais. Salomé, fille d'Hérodias, aime Iokanann, mais celui-ci la repousse. Elle acceptera de danser pour son beau-père concupiscent en échange d'une promesse : elle réclame la tête de Iokanann...

Salomé est au centre de cette courte pièce  : elle est celle que tous regardent et désirent. Nommée par Iokanann "fille de Babylone",  Salomé est amoureuse et cruelle, elle désire et décide et donne la mort. Salomé envoûte tous les hommes qui l'entourent. L'atmosphère onirique, étrange est créé par le langage poétique : une prose anti-réaliste ou déréalisante. La lune est comparée à "un narcisse agité par le vent... Elle ressemble à une fleur d'argent" ou " comme la lune a l'air étrange ! On dirait la main d'une morte qui cherche à se couvrir avec un linceuil", dit un jeune syrien... Cette pièce de théâtre est une merveille d'art artificiel, avec des fleurs vertes et des références à divers mythes et contes, illustrant parfaitement l'autonomie de l'art. Lorsque Salomé exprime son désir pour Iokanann, elle reprend le "Cantique des Cantiques" : "Iokanaan ! Je suis amoureuse de ton corps. Ton corps est blanc comme le lys d'un pré que le faucheur n'a jamais fauché. Ton corps est blanc comme les neiges qui couchent sur les montagnes de Judée, et descendent dans la vallées. Les roses du jardin parfumé de la reine d'Arabie, ni les pieds de l'aurore qui trépignent sur les feuilles, ni le sein de la lune quand elle se couche sur le sein de la mer...". L'art s'inspire de l'art.

C'est une pièce symboliste, surréaliste avant l'heure, dont Loti dira : " c'est beau et c'est sombre comme un chapitre de l'Apocalyspe".  On perçoit dans cette pièce toutes les obsessions de Wilde : primauté de l'esthétique et le tragique côtoie un ton plus humoristique. Une pièce à lire pour la beauté des images, elle brille de tous les motifs décadents, des pierreries à la présence de paons blancs, et pour sa prose musicale...

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Les illustrations par Aubrey Bearsdley sont magnifiques : des dessins en noir et blanc, dans des cadres japonisants, représentent Salomé sous les traits d'une femme fatale. Les volutes et les courbes, le style rococo mais stylisé traduit bien l'univers sombre et cruel et la beauté étrange de la Salomé de Wilde.

 Mes lectures wildiennes : Les aphorismes

18 janvier 2010

Elémentaire, ma chère Sarah de Jo Soares : ISSN 2607-0006

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Dans les faubourgs du Brésil, un crime est commis : sur les lieux on découvre le cadavre d'une fille de joie égorgée. Le crin d'un Stradivarius, offert par l'empereur à une baronne, a été laissé sur le corps. Un deuxième meurtre est accompli dans les mêmes conditions. Dans le même temps, lorsque l'empereur est mis au courant de la disparition du violon, il fait part de cette découverte à la Divine, c'est-à-dire S. Bernhardt, en tournée au Brésil, qui propose de faire appel à Sherlock Holmes. L'inspecteur Mello Pimenta, qui enquête sur cette affreuse affaire de meurtres en série, finit par faire appel au célèbre détective anglais.

"Nous sommes tous plus ou moins fous" (Baudelaire), en exergue du livre.

Des personnages déjantés et originaux contribuent à créer une ambiance amusante : Sarah Bernhardt ne parle qu'en alexandrins, quant à l'inspecteur Mello présenté comme un homme ventru, il sait courir légèrement comme une gazelle. Une comparaison saugrenue ou comique vient agrémenter les descriptions pittoresques des personnages.  Watson est un véritable sot et ne comprend strictement rien car il ne parle pas portugais. De sa bouche sortent d'ailleurs les paroles les plus absurdes du roman : " comme le dit si bien un vieux proverbe écossais, les seuls oiseaux qui meurent tout éveillés sont le dindon et le cochon" ! Habilement, l'auteur mêle fiction et réalité. Des anecdotes amusantes ou croustillantes de la vie très romanesque de la Divine parsèment le roman. Même le personnage de fiction qu'est S. Holmes est parodique : il tombe amoureux, ne pense qu'à manger des plats exotiques et est maladroit : un véritable contre-emploi. D'ailleurs, l'affaire reste non résolue tant les facultés de déductions et la logique de S. Holmes sont fausses.

Le changement de narration contribue à donner une dynamique à ce roman : alternent tour à tour, les extraits des faits et gestes du meurtrier en italique, des reproductions de journaux et des narrations où dominent des dialogues cocasses. L'auteur passe dans différents lieux, décrivant aussi bien le palais impérial que les quartiers sordides de la fin XIXeme siècle. On regrette juste qu'à chaque personnage ou lieux nouveaux, l'auteur fasse une notice biographique ou une description, qui alourdissent le récit de quelques longueurs.

Burlesque et parodique, entre folie du langage et des personnages, ce roman est vraiment distrayant malgré quelques défauts et on ne peut qu'aimer ce récit qui fait de nombreuses références aux livres. Ironie du sort, dans La solution finale, Conan Doyle tuait son personnage, le détective S. Holmes, qu'il jugeait trop envahissant, mais celui-ci connaît de belles aventures posthumes : les auteurs ne cessent de faire revivre ce mythique détective, pour notre plus grand plaisir !

Merci aux éditions Livre de poche de m'avoir offert ce livre en partenariat avec blog o book

Soares, Elémentaire ma chère Sarah !, Livre de poche, 371 p.

17 janvier 2010

La dame aux camélias de Dumas fils : ISSN 2607-0006

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Celle qu'on désigne par le surnom de "Dame aux camélias" est une courtisane du nom de Marguerite Gautier. Le narrateur va s'intéresser à son histoire, le jour où à une vente publique, il achète un livre lui ayant appartenu. Quelques jours plus tard, un jeune homme, Armand Duval, fou de douleur, cherche à acquérir le livre qui est pour lui un souvenir indispensable. Intrigué  par ce jeune homme et sa démarche, le narrateur va bientôt se lier d'amitié avec lui et prendre connaissance de l'histoire de Mademoiselle Gautier...

Le début du récit est assez surprenant, le narrateur tenant un discours moralisateur peu commun dans les fictions de cette époque : il en appelle à l'indulgence des lecteurs pour les courtisanes qui sont capables de beaux sentiments et doivent susciter la pitié car elles n'ont pas eu, parfois, l'éducation nécessaire. Ainsi, dans les premières pages, se succèdent des paroles de moralisateurs : "soyons bons, soyons jeunes, soyons vrais ! Le mal n'est qu'une vanité, ayons l'orgueil du bien, et surtout ne désespérons pas" ! Mais que le lecteur ne se décourage pas à la lecture de cette phrase.
En fait, le roman est "dumasficelé", néologisme de Jules Renard, on s'intéresse à cette histoire d'amour dès qu'on lit la dédicace sur le livre acheté par le narrateur : " Manon à Marguerite, Humilité. Armand Duval". Que signifient ces mots ? Qui est Armand Duval ? Bientôt le narrateur découvre la vérité sur la vie de la dame aux camélias qui a vécu une histoire d'amour sincère, désintéressée avec Armand Duval. Si les sentiments amoureux ont l'air si vrai, c'est que Dumas fils les a véritablement vécus, il a lui aussi aimé une Dame aux camélias : la jalousie, les tourments, les mensonges et les concessions sont passionnément racontés par Armand Duval, comme un Swann avant l'heure... On est véritablement entraîné par les rebondissements de cette passion même si parfois, on pressent ce qu'il va arriver.
Dumas revisite un thème connu et le sublime. Devenu un mythe et inspiré d'une histoire vraie, celle de Marie Duplessis, il dépeint les sentiments de ces deux jeunes gens de manière très justes et en donnant des accents dostoievskiens à ses personnages : candeur, péchés et rédemption.
Loin des déchéances des héroïnes telles que Nana, Dumas fait le portrait d'une courtisane repentie et donne une dimension sociale à cet amour qui, s'il peut surprendre ou agacer le lecteur au départ, est plus subtilement fait par la suite. Une très belle découverte très émouvante.

Une lecture du challenge ABC

16 janvier 2010

On ne badine pas avec l'amour de Musset : ISSN 2607-0006

 

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Musset, chantre des romantiques, signe ici une comédie dramatique écrite dans une prose poétique. Camille est promise à Perdican, mais lorsque celle-ci sort de son couvent, elle est décidée dès la première rencontre à refuser ce mariage et à prendre le voile : les autres religieuses du couvent lui ont fait la leçon en la mettant en garde contre les hommes. Quant à Perdican, pétri des images de sa douce enfance, il souffre du refus de Camille et se venge en courtisant Rosette, la soeur de lait de Camille.

"Les mots sont des mots et les baisers sont des baisers".

On ne badine pas avec l'amour constitue une comédie de l'amour, où le badinage peut se révéler funeste. Le genre du proverbe était un jeu des salon littéraire à l'origine. Et il est bien question de jeu dans cette comédie qui joue sur les masques et les sentiments jusqu'au moment où la mort s'en mêle.

De nombreuses scènes sont véritablement comiques grâce aux fantoches de la pièce : le Baron père de Perdican n'entend rien à l'amour et ne comprend qu'à demi-mot les répliques des autres personnages, créant ainsi des raccourcis tout à fait amusants. Autour de lui se démènent dame Pluche, affublé d'un nom ridicule, qui est une véritable caricature de vieille fille dévote, et Blazius, précepteur de Perdican, un abbé grand buveur et mangeur. Ces personnages contribuent grandement à créer un comique de situation. Ainsi lorsque Maître Blazius vient annoncer au Baron que Camille était rouge de colère et voulait obliger Dame Pluche à porter un billet qu'elle froisse pour ne pas avoir à l'apporter, voici ce que répond le Baron : "Je n'y comprends rien ; mes idées s'embrouillent tout à fait. Quelle raison pouvait avoir dame Pluche pour froisser un billet plié en quatre en faisant des soubresauts dans une luzerne ! Je ne puis ajouter foi à de pareilles monstruosités."

Pourtant, On ne badine pas avec l'amour n'est pas seulement une comédie : le sérieux de l'avertissement contenu dans le titre s'exerce tout au long de la pièce donnant une dimension tragique à la comédie du dépit amoureux. Camille n'est-elle qu'une orgueilleuse ? Perdican est il un libertin ? Va-t-il réellement épouser Rosette ? Une tension dramatique s'installe pour ne plus quitter la scène : progressivement les jeunes héros se découvrent mais l'aveu vient trop tard comme dans Les caprices de Marianne. La légèreté de l'écriture de Musset n'exclut pas la souffrance et un certain lyrisme. Les personnages sont bien plus complexes qu'il n'y paraît et sont le reflet d'un amour désenchanté et lucide : chaque mot de cette comédie de l'orgueil semble pousser les héros vers un précipice...

Le verbe, le mot et la poésie dominent les trois actes oscillant entre le grotesque et le sublime jusqu'à l'extrême fin tragique. Toute la pièce est portée par la magnifique et musicale prose de Musset, qui met dans la bouche de son jeune héros cette fameuse tirade  : "Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses ; curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime; c'est l'union de ces deux êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois ; mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui".

Des drôleries, de la fraîcheur mais aussi du désespoir, On ne badine pas avec l'amour est une analyse de l'amour sans concession, et une pièce romantique magnifique...

12 janvier 2010

Tous les autres s'appellent Ali de Fassbinder : ISSN 2607-0006

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J'ai vu récemment un film étrange mais qui me permet de mieux appréhender l'histoire du cinéma allemand : Tous les autres s'appellent Ali est une histoire d'amour, peu banale, entre un arabe "Ali" et Emmy une vieille femme. Tout les sépare : leur âge, leur origine, leurs amis. Cependant, très vite, ils se marient à la grande réprobation de leur entourage. Emmy supporte difficilement cette situation et le racisme ambiant dont font preuve les voisins et ses propres enfants, dans cette Allemagne post-nazie. Le couple résistera-t-il à la pression sociale ?

Les premières images créent un climat presque surréaliste : Emmy entre dans un bar d'étrangers dans lequel elle se réfugie à cause de la pluie battante. Elle commande une boisson, dans un silence de mort. Tous l'observent. Soudain une jeune fille propose à Ali d'aller inviter la vieille dame à danser. Celui-ci s'exécute et la magie de l'amour opère : les deux solitaires se présentent, parlent, et communiquent. Dans ce bar, il n'y a aucun figurant, ni décoration. Les couleurs sont sordides, une lumière blafarde éclaire les visages. Drôle d'ambiance. Et tout le film se déroule dans ce climat de distanciation et d'enchaînement rapide des actions sans véritable logique parfois. Paradoxalement, les plans fixes abondent ce qui créent une certaine lenteur.
Le film est particulièrement déroutant, notamment par la laideur des costumes, des visages et des décors. Le scénariste semble dire regardez l'image, il ne faut pas chercher de réalisme, ni de véracité car l'essentiel est de donner à réfléchir.

En effet, l'un des axes importants de ce film est montrer les rapports de domination dans la société contemporaine de Fassbinder (film de 1970), et comment la violence sociale se répercute dans la sphère de l'intime. Ainsi, après un voyage à l'étranger, lorsque le couple revient, Emmy commence à exercer sur Ali une violence plus détournée, en folklorisant ses goûts ou en le montrant telle une bête de foire. Ce film noir dénonce différent aspect du racisme et la solitude des personnages. Cette phrase en exergue du film laisse rêveur : " le bonheur n'est pas toujours joyeux"... Influencé par la Nouvelle Vague, ce film joue de la stylisation et de la distanciation. Il est aussi influencé par un film lacrymal et hollywoodien de Douglas Sirk Tout ce que le ciel permet tout en exacerbant les critiques de Sirk. Subtilement et sans manichéisme, Fassbinder critique la société contemporaine et montre la permanence du nazisme dans les mentalités. Il met en scène aussi l'écrasement des êtres par les objets et l'enfermement des individus dans une classe sociale. Cinéma intellectuel, le film est pourtant bouleversant et émouvant.

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