Le bal des folles de Victoria Mas ; ISSN 2607-0006
Saviez-vous qu'au XIXeme siècle un bal avait lieu chaque année à la Salpétrière ? Les aliénées étaient heureuses de se montrer une fois dans l'année et les bourgeoises se réjouissaient de voir ces phénomènes... C'est cet événement particulier qui est un des thèmes du Bal des folles. Mais avant d'entreprendre le récit de cette soirée, l'auteur de ce premier roman entreprend, dans un roman choral, de nous présenter différentes femmes qu'on a enfermées dans cet établissement de sinistre réputation.
Avec un titre pareil, on craint d'entendre une histoire similaire à celle de La salle de bal d'Anna Hope : un drame romancé dans un hôpital psychiatrique. Le motif de la femme enfermée dans un asile apparaissait déjà dans les romans victoriens et M. Atwood s'en était emparée dans Captive pour raconter un fait divers, celui d'une meurtrière enfermée dans un asile pour échapper à la peine de mort.
Quant à Nellie Bly, elle infiltre l'asile de Blackwell's Island mais c'est pour dénoncer les traitements infligés aux pauvres femmes enfermées parfois à tort. Dans un récit à la première personne, elle décrit minutieusement ce qu'elle a vécu, enduré et vu dans de tel institut, non pas par goût du sensationnalisme mais elle exprime une véritable empathie pour celles qui sont considérées comme démentes : " Voici une grande joie apportée par mon travail : grâce à cette enquête, la commission des budgets de la ville de New York a octroyé un millon de dollars supplémentaire aux hopitaux psychiatriques de Blackwell's Island" (p. 124). Elle conclut ainsi son reportage, qui doit être absolument lu !
" Les vivants étaient plus dangereux que les défunts"
Mais revenons à V. Mas qui choisit plusieurs personnages féminins principaux pour montrer des points de vue différents sur les mêmes événements, autour de l'internement d'Eugénie, une fille de bonne famille. Elle tisse une histoire chorale où se dessine le destin de plusieurs femmes arrivées à la Salpêtrière : Louise a été abusée par son oncle, Eugénie voit des morts, l'infirmière Geneviève est hantée par sa défunte soeur... On est loin du ton factuel et descriptif de Nellie Bly, qui liste les objets et les personnes : les monologues intérieurs de tous ces personnages nous invitent à nous révolter face à l'injustice de ces enfermements abusifs, à compatir avec ces femmes malmenées par la vie ou par les médecins, à découvrir le regard d'une époque sur l'hystérie... Evidemment, avec un sujet pareil, la romancière a développé un arrière-plan historique bien intégré dans l'intrigue : le spiritisme, les séances de Charcot et le manque de connaissances sur la psychiatrie à l'époque et enfin l'émancipation des femmes. Le narrateur déclare : " Mais la majorité des aliénés le [internées] furent par des hommes. Sans mari, sans père, plus aucun soutien n'existe, plus aucune considération n'est accordées à son existence" ( plage 8).
Sur différents Audiolibs, des entretiens sont réalisés à la fin de l'écoute pour pouvoir connaître la genèse, les intentions de l'auteur, ses projets comme dans Civilizations de Binet ou dans Le bal des folles de V. Mas pour nous éclairer sur les intentions de l'auteur. La lecture d'Audrey Sourdive est très fluide et très agréable à écouter. Il faut dire qu'elle a commencé le théâtre à 5 ans et qu'elle a enregistré déjà plusieurs livres comme Mon amie Adèle, La goûteuse d'Hitler ou Ici n'est plus ici. Sa voix claire et nette permet de suivre avec plaisir cette histoire.
Ce livre qui a déjà reçu le Prix Première Plume 2019, le Prix Stanislas 2019, le Prix Patrimoine 2019 et le Prix Renaudot des Lycéens mériterait amplement d'être à nouveau récompensé !
Le bal des folles, Victoria Mas, Audiolib, lu par Audrey Sourdive, 2020, France, 1 CD, 6h45.
Bly Nelly, 10 jours dans un asile, reportage, Points, France, novembre 2016, 157 p.
Prix Audiolib 2020. Autres romans écoutés : Ici n'est plus ici de T. Orange
Sur le web : Bloch-Lainé Virginie, "Le bal des folles" : spirite, es-tu là ?, Libération, mis en ligne le 13 décembre 2019.URL : https://next.liberation.fr/livres/2019/09/13/le-bal-des-folles-spirite-es-tu-la_1751194
A l'hôpital comme au dehors, le temps est scandé par des célébrations : on fête Noël, le Nouvel An, et le carnaval de la mi-carême. L'hôpital de la Salpêtrière, accueillant exclusivement des femmes jusqu'en 1968, organisait au XIXe siècle et jusqu'au début du XXe un bal de la mi-carême auquel étaient conviées quelques personnes de la bonne société parisienne.
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• Crédits : PAr André Brouillet, 1887