Le curé de Tours de Balzac : ISSN 2607-0006
Quelle catégorie sociale Balzac va-t-il dépeindre dans Le curé de Tours ? Le clergé évidemment mais plus globalement les célibataires. Effectivement, on a les portraits antithétiques de deux hommes d'Eglise dans l'incipit de la nouvelle : l'abbé Birotteau est un homme simple, rond, joyeux. En revanche, le machiavélique abbé Troubert est "grand et sec", une figure avec une "expression pleine d'ironie ou de dédain", " une sombre physionomie" (p. 56). Leur antagonisme éclate lorsque le pauvre abbé hérite du logement de l'abbé Chapeloup, tenu par Mademoiselle Gamard.
Cette dernière harcèle le pauvre abbé lorsqu'elle s'aperçoit qu'il préfère la compagnie de la baronne de Listomère, vieille fille aristocratique tourangelle. Avec l'aide de l'abbé Trouvert, elle met en place mille mesquineries pour s'emparer de l'héritage de l'abbé Birotteau. Tout ceci se met lentement en place, le temps que Balzac plante le décor (la cathédrale Saint-Gatien), les habitudes de ses personnages, qui sont tous antipathiques, cupides et détestables. Même l'auteur de La comédie humaine se moque de ces petits événements ennuyeux, de ces querelles de chapelle : " C'était le combat du peuple et du sénat romain dans une taupinière, ou une tempête dans un verre d'eau" ( p. 90)
Soudainement, la vieille Gamard meurt et apparaît le génie balzacien ! Outre la peinture de célibataires - curés et vieilles filles - l'auteur de César Birotteau, le frère de l'abbé, entame le véritable sujet de son drame : la mainmise de l'Eglise sur l'Etat sous la Restauration. Madame de Listomère soutient le pauvre abbé mais elle se heurte à Troubert qui gravit les échelons écclésiastiques et possède le pouvoir de ruiner la carrière de son neveu, le baron de Listomère. Commence alors un formidable duel entre la baronne et Troubert qu'on peut résumer dans un génial duel langagier où le monologue intérieur apparaît en italique :
- "Le mal est fait, madame, dit l'abbé d'une voix grave, la vertueuse mademoiselle Gamard se meurt. (Je ne m'intéresse pas plus à cette sotte fille qu'au prêtre Jean, pensait-il; mais je voudrais bien vous mettre sa mort sur le dos, et vous en inquiéter la conscience, si vous êtes assez niais pour en prendre du souci.).
- En apprenant sa maladie, monsieur, lui répondit la baronne, j'ai exigé de monsieur le vicaire un désistement que j'apportais à cette sainte fille. (Je te devine, rusé coquin ! pensait-elle ; mais nous voilà mis à l'abri de tes calomnies. Quant à toi, si tu prends le désistement, tu t'enferreras, tu avoueras ainsi ta complicité" (p. 103). Et ainsi de suite...
Voici une peinture assez laide de la nature humaine et de la vie provinciale où dominent les rumeurs et l'hypocrisie, mais elle est rendue vivante par les trouvailles stylistiques et les expressions balzaciennes. Le curé de Tours complète ainsi la peinture politique sous la Restauration où tous travaillent à rétablir la religion...
Balzac, Le curé de Tours, suivi de Pierrette, Folio, France, mars 2018, 343 p.
LC avec Claudia. La prochaine LC aura lieu le 22 mars avec "Pierrette"
La comédie humaine :
1. Scène de la vie de province : "Le curé de Tours", Ursule Mirouet, Eugénie Grandet, Le cabinet des antiques
2. Scène de la vie parisienne :Ferragus, La maison Nucingen "Pierre Grassou", La fille aux yeux d'or, La duchesse de Langeais
3. Etude philosophique : " Fascino Cane", Louis Lambert, "Melmoth réconcilié, La peau de chagrin, L'auberge rouge, L'Elixir de longue vie
4. Scène de la vie privée :La vendetta, Une double famille,"Le bal de Sceaux", Mémoires de deux jeunes mariées, Le père Goriot, La bourse, Le colonel Chabert, Gobseck
5. Scène de la vie de campagne : Le lys dans la vallée
Cathédrale Saint-Gatien de Tours