Le discours de la servitude volontaire de La Boétie : ISSN 2607-0006
"Il en est que le métier ingrat de courtisan use dans la servitude volontaire"
De la briéveté de la vie, Sénèque
Quel paradoxe ! Pourquoi accepter le joug d'un tyran ? Pourquoi le peuple "s'asservit" et "se coupe la gorge" ? Ce bref texte de La Boétie suscite d'autres questions que celles de son titre oxymorique. Et tout d'abord qui est cet auteur dont on sait peu de choses ? La date de publication est incertaine et le message est des plus ambigus : comme Le prince de Machiavel qui connut un destin peu ordinaire (" on se perd en conjecture sur le sens de sa démonstration", dit Spinoza) - de la naissance du concept du machiavélisme à l'interprétation " du livre des Républicains" de Rousseau - Le discours de la servitude est tantôt perçu comme un livre écrit au service du roi contre les protestants, tantôt comme un discours contre le roi et défendant les parlementaires, ou tantôt comme un texte en faveur des Protestants... A-t-il été écrit contre les répressions de la Gabelle de 1548 ? Est-il un jeu rhétorique ou un pamphlet politique ? Huit versions de ce texte existent, qui ne cessent d'être réactualisés, brandis par les révolutionnaires de 1789 ou par les réplublicains en 1851...
" D'avoir plusieurs seigneurs aucun bien je n'y voy. Qu'un sans plus soit le maître, et qu'un seul soit le roi". La dénonciation du pouvoir est étonnamment moderne pour l'époque car elle s'affranchit de toutes allusions religieuses. Ce discours reflète l'appartenance au mouvement de l'humanisme de son auteur, avec la valorisation de l'amitié ( " L'amitié est un nom sacré") qui est synonyme d'égalité et de connaissance mutuelle, de savoirs partagés mais est aussi visible dans le recours aux exemples puisés dans l'histoire antique. Non seulement La Boétie contredit les idées d'Aristote, mais il ne fait pas de son discours un miroir du prince. Il analyse les moyens dont disposent le tyran pour maintenir sa domination : coutume, divertissement, religion et soutien des favoris. On peut donc y lire une corruption de l'ensemble de la société, annonçant le pessimiste de la fin du XVIeme siècle, déchirée par les Guerres civiles, une dégradation des idéaux de l'humanisme.
Si l'on considère ce discours comme l'exercice d'un rhéteur, on ne peut qu'admirer la prose de ce texte qui révèle une véritable éloquence : période cicéronienne, questions oratoires, accumulations, métaphores, parallélismes. En voici un bel exemple ( p. 85) : "Pour ce coup je ne voudrois rien entendre comm'il se peut faire que tant d'hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelque fois un tyran seul, qui n'a puissance que celle qu'ils lui donnent ; qui n'a pouvoir de leur nuire, sinon tant qu'ils ont vouloir de l'endurer ; qui ne sçauroit leur faire mal aucun, sinon lors qu'ils aiment mieulx le souffrir que lui contredire." Quelle que soit l'idéologie portée par ce texte, sans cesse réactualisée, il incite à la réflexion et force l'admiration par sa magnifique rhétorique...
La Boétie, De la servitude volontaire, Tel Gallimard.
Lecture commune avec Margotte, Claudia, Océane.