Les chambres inquiètes de Lisa Tuttle : ISSN 2607-0006
Chaque nouvelle du recueil des Chambres inquiètes de Lisa Tuttle est comme une pièce d'une maison hantée derrière laquelle se cache une histoire inquiétante ou malaisante et souvent fantastique. La romancière américaine a aussi écrit, avec Georges Martin, Elle qui chevauche les tempêtes, un roman de fantasy féministe. La même thématique se dessine à travers tous les récits du recueil même s'ils sont extrêmement variés et sémantiquement bien plus riches.
Les quinze nouvelles - Un nid d'insectes", "sans regret", "en pièces détachées", "La tombe de Jamie", "Le lézard de Byzance", "L'autre chambre", "Oiseaux de lune", Propriété commune", "Une amie en détresse", "L'autre mère, " les mains de Mr Elphinstone", "La plaie", "Le nid" - parlent de la condition de la femme : elle est une proie pour l'homme dans "Un nid d'insectes" ou "En pièce détachées", une mère possessive dans "La tombe de Jamie" ou dans "L'autre mère", une soeur possessive dans "La plaie" ou "Le nid", une mère désespérée dans une famille dysfonctionnelle dans "Oiseaux de lune" par exemple.
"J'avais une vie imaginaire" ( "Une amie en détresse", p. 227) :
Souvent, l'auteur utilise des métaphores, des symboles pour représenter des situations angoissantes, qui restent parfois sibyllines : dans "Le lézard du désir", on comprend implicitement que des femmes sont battues mais qu'elles peuvent s'en sortir en possédant un lézard. Que représente cet animal ? Pourquoi veulent-elles en posséder un ? La nouvelle reste énigmatique. En revanche, en usant d'un rêve, répété comme un refrain, "Oiseaux de lune" se fait poétique : "Les oiseaux qui vivent sur la lune ont presque une tête pareille à celle des hommes, mais ils n'ont pas d'oreilles et leur visage inexpressif a l'air étrangement mort. Lourds et lents, il volent dans la nuit immobile et perchent, solitaires, sur la roche stérile et au flanc des cratères.
Amalie s'éveille en sursaut, comme si des serres glacées lui avaient agrippé le poignet. Le souffle lent et régulier de son mari emplit la chambre à l'instar du clair de lune ; il dort. Elle fait pivoter sa tête sur l'oreiller et se fige à la vue de ses yeux grands ouverts. Mais ceux-ci ne distinguent que ses rêves" (p. 195)...
Certaines nouvelles comme "Une amie en détresse" ressemble davantage à un court récit de science-fiction, usant de l'existence de mondes parallèles. D'autres renouvellent le genre du récit fantastique avec des maisons délabrées, hantée par des choses, ou par des fantômes pour exprimer le mal-être des personnages. Dans "Sans regret", une femme a fait le choix de devenir poétesse au lieu d'épouser un homme et de fonder une famille. Une dizaine d'années plus tard, elle voit les fantômes de la vie qu'elle aurait pu avoir. Est-elle vraiment "sans regret" ?
Toutes ces nouvelles présentent une écriture fluide, qui captivent par leur chute pas toujours explicite. En très peu de mots, Lisa Tuttle arrrive à peindre ses personnages, une situation quotidienne, qui devient vite anxiogène, fantastique, symbolique, tout en montrant des héroïnes tuttliennes en proie à leurs problèmes. Un recueil fascinant !
Tuttle Lisa, Les chambres inquiètes, Dystopia, France, Avril 2014, 357 p.
Autres romans : Elle qui chevauche les tempêtes
Merci aux éditions Dystopia pour ce SP.
"La silhouette voilée pourrait être Ceridwen, la déesse blanche de la mort et de la création" ( p. 247, "L'autre mère")
Ceridwen (1910) par Christopher Williams.