Martyr de von Mayenburg : ISSN 2607-0006
"Samarie devra payer, car elle s'est révoltée contre son Dieu : ils tomberont par l'épée, les nourrrissons seront écrasés et les femmes enceintes éventrées" (Os 14,1)", dit Benjamin. Que répondre à un adolescent qui ne répond qu'en citations bibliques ?
Comme dans La vague de Strasser, la pièce Martyr de Marius von Mayenberg, à travers la vie d'un adolescent, décrit les mécanismes de la radicalisation. Benjamin, un jeune lycéen, lit la Bible qu'il prend à la lettre et au sérieux. Face à lui, seule sa professeur de biologie réagit et tente de le raisonner. Malheureusement, ses propos ne sont pas entendus, ni compris... le proviseur sexiste préférant s'intéresser au physique de la pauvre femme. Que peut faire la collectivité, les parents, les enseignants face à cette crise mystique et à l'absurdité de la réaction de l'adolescent qui cite la Bible comme on respire ?
Impossibilité de dialoguer, la religion, les relations familiale, l'école : Marius von Mayenburg interroge la société en abordant plusieurs thèmes sociétaux. Benjamin refuse d'aller à la piscine car le seigneur ordonne "que les femmes aient une tenue décente, qu'elles se parent avec pudeur et modestie" (Tm 2, 9-10). Cette réplique de Benjamin ne fait-elle pas écho à d'autres propos sur les femmes tenus par d'autres politiques ? Evolution darwinienne ou créationnisme ?
Le "martyr" du titre n'est pas celui qu'on croit ! Il est bien question de clous et de marteau mais ce n'est pas Benjamin le croyant qui sera crucifié... Comédie ? Tragédie ? Martyr est à mi-chemin entre les deux genres : les répliques bibliques de Benjamin à tout propos créent un comique certain mais la fin tragique donne un tonalité grinçante à cette pièce... Un dramaturge à découvrir !
Qui est Marius von Mayenburg ? il " est né en 1972 à Munich. Il est l'un des auteurs dramatiques germanophones les plus réputés de sa génération. Pour Visage de feu, il obtient le prix Kleist en 1997. L'année suivante la revue Theater heute le nomme auteur dramatique de l'année. À la même période commence sa collaboration avec Thomas Ostermeier, d’abord à la « Baracke » et aujourd’hui à la Schaubühne, où il est auteur associé, metteur en scène et traducteur, notamment de Shakespeare et de Kane. Son théâtre, traduit dans plus de trente langues, est publié à L’Arche" (présentation de la quatrième de couverture de l'Arche).
von Mayenburg Marius, Martyr, L'arche éditeur, France, novembre 2019, p. 125,
La colonie de Marivaux : ISSN 2607-0006
"Un combat entre l'amour et la raison" (Le jeu de l'amour et du hasard, III, 4)
De son vivant, on se moque du style de Marivaux en créant le terme de "marivaudage", un langage précieux et galant comme dans Le Jeu de l'amour et du hasard. Deux jeunes gens, Silvia et Dorante, qui doivent sé'pouser, veulent d'abord connaître le caractère de celui ou celle à qui ils sont destinés. Ils décident, chacun de leur côté, sans le savoir, de changer leur rôle avec leur serviteur. Ainsi la fausse Silvia et le faux Dorante tombent immédiatement amoureux, de même que leur maître. Mais Silvia croit déchoir en épouvant celui qu'elle prend pour un valet, qui est en réalité Dorante. La pièce se construit en dialogues symétriques où chacun fera la connaissance des autres... Quiproquos et mise en abyme révéleront le mérite de chacun et leurs vrais sentiments.
"C'est mon habit qui est un coquin" ( III, 3, La fausse suivante)
Dans La fausse suivante, une jeune fille se déguise en chevalier pour éprouver les sentiments de son futur époux. Elle découvrira quelle est sa vraie nature, aidée de ses serviteurs, notamment Trivelin, sorte de picaro : le sort de ce valet prend une place relativement importante dans cette intrigue où la jeune parisienne, ou le faux chevalier, va découvrir le véritable visage de Lélio, à qui on la destine. Le travestissement et les badinages -à travers le chevalier, Marivaux se permet même de critiquer le marivaudage ! - dissiperont les illusions sur les sentiments de Lélio.
"Nos petites-filles réussiront" (La colonie)
Cependant, La colonie s'éloigne de cette esthétique même si on retrouve l'ambiguité du dénouement. Sur une île - comme L'île des esclaves - des hommes et des femmes ont fait naufrage et souhaitent réorganiser leur petite société. Les hommes ont d'emblée exclu les femmes qui se rassemblent à leur tour. Elles créent une affiche pour réclamer davantage de droits. Malheureusement, les hommes ont préparé une petite comédie pour les empêcher de se révolter... Avec légèreté - les hommes ironisent ou sont ridiculisés comme Percinet - Marivaux condense l'esprit des Lumières à travers la lutte des femmes pour davantage d'égalité. Cette petite pièce, en un acte et 18 scènes, s'éloigne singulièrement du style de marivaux : pas de badinages dans La colonie mais la confrontation d'idées de son siècle et celle de notre siècle aussi...
Marivaux, La colonie, Carrés classiques collège, France, septembre 2021, 115 p.
Marivaux, La fausse suivante, Le livre de poche, Espagne, mars 2014, 124 p.
Marivaux, Le jeu de l'amour et du hasard, France, Juin 1999, GF Flammarion, 157 p.
du même auteur : Le paysan parvenu
Embrassons-nous Folleville/ L'affaire de la rue Lourcine de Labiche : ISSN 2607-0006
Boulevard des cépucines de Béraud © Photo RMN-Grand Palais - Bulloz
Après Feydeau, Labiche est certainement le vaudevilliste le plus fécond du Second Empire. Parmi les 160 pièces qu'il a écrites avec des collaborateurs, dont Un chapeau en Italie, toujours joué à la Comédie Française ou Le voyage de Monsieur Perrichon, certaines portent les caractéristiques de ce qu'on a appelé "la folie-vaudeville".
La folie vaudeville :
Ce sont de courtes pièces en un acte dominé par la déraison : dans Embrassons-nous Folleville, le marquis de Manicamp veut marier sa fille Berthe au chevalier Folleville qui lui a rendu un service en cachant au roi une injure que lui a faite le marquis. Mais Folleville et Berthe ne s'aiment pas et tous leurs gestes de désamour sont mal interprétés par le père de Berthe, qui croit que le mariage est imminent. Le vicomte de Chatenay a été giflé par Berthe, en tombe éperdument amoureux et la demande en mariage, non sans casser une infinité de vases car tous ces personnages ont le caractère vif. Une même logique de déraison domine Le meurtre de la rue Lourcine. Un bourgeois, Lenglumé, s'éveille en ayant oublié une soirée d'ivresse. qui trouve-t-il dans son lit ? Non, pas une maîtresse mais un ancien camarade, qui serait son complice dans un hypothétique meurtre. Il est prêt à tuer pour préserver sa respectabilité.
"Une bête à mille pattes", c'est ainsi que Labiche définissait ses pièces : si le spectateur s'arrête de rire, si la mécanique de la pièce s'essoufle alors la pièce est un four. Et effectivement, dans chacune de ses pièces dès que le mécanisme est enclenché, les actions s'enchaînent à un rythme effréné. Comique de répétition, néologismes, pataquès, quiproquos s'accumulent vers le dénouement. Les intrigues frénétiques de ce dramaturge sont merveilleusement ingénieuses.
Le Second Empire de Labiche :
Cependant, ces pièces ne sont pas de simples imbroglios savamment réglés. Dans Embrassons-nous Folleville, le mariage arrangé est vivement critiqué comme dans certaines pièces de Molière. Quant à L'affaire de la rue Lourcine, Lenglumé prône les valeurs bourgeoises, au point de commettre des crimes en leur nom. Fils d'un riche industriel, L'abiche critique les travers d'une classe socials qu'il connaît bien. L'allusion à Molière n'est pas anodine. Le vaudeville puise souvent dans d'autres textes et on se délecte devant Lenglumé se frottant les mains telle Lady Macbeth. Son crime renvoie au roman-feuilleton de l'époque. Témoignage des divertissements sous Napoléon III, avec ses couplets légers, les vaudevilles de Labiche n'ont rien perdu de leur vis comica.
Cinna de Corneille : ISSN 2607-0006
La conspiration de Cinna est familière au public du XVIIeme siècle, inspirée du De Clementia de Sénèque, qui doit servir de miroir de prince pour Néron : Auguste qui s'est imposé par la force en plongeant "son poignard dans le sein de ses amis" est désemparé lorsqu'il apprend que Cinna, petit-fils de Pompée avait organisé un guet-apens. Il est las de devoir faire face aux nombreux complots, qui ne cessent de se multiplier tels les têtes d'une Hydre. C'est alors que sa femme Livie, lui conseille d'essayer la clémence. L'inventio étant connue, comment intéresser le public ?
Tout d'abord par le ressort essentiel du théâtre cornélien : l'admiration et la surprise. Après une scène d'exposition (acte I) qui permet de présenter les acteurs de la tragédie, le noeud de l'intrigue, Auguste convoque Cinna et Maxilien, principaux conjurés : le complot est-il découvert ? Non, Auguste recherche leur conseil sur sa légimité à gouverner. Pour expliquer la conjuration, Corneille a inventé le personnage d'Emilie, amante de Cinna, qui veut venger son père proscrit au début du règne d'Auguste. Cinna doit choisir entre venger le père d'Emilie ou laisser la vie sauve à l'empereur. Maxilien devient le rival amoureux de Cinna : il dénoncera le rôle de celui-ci dans la conjuration. Ainsi voit-on qu'à la vérité historique, s'est ajoutée une intrigue amoureuse. Que ce soit lors de la fomentation du complot ou de sa découverte, les héros cornéliens font assaut de générosité et de vaillance bien qu'ils soient en péril de mort suscitant ainsi l'admiration.
Cette pièce politique de Corneille, dont le sujet est romain, fait allusion à des événements contemporains du dramaturge : La clémence d'Auguste et l'assujetissement de Cinna qui possède des valeurs aristocratiques n'est pas sans rappeler la mise en place de la monarchie après les troubles de la Fronde.
Et puis, il reste l'elocutio : cette pièce se compose de 1780 vers dans un style soutenu où les maximes abondent ainsi que les morceaux de bravoure comme la longue narration à l'acte I, scène 3 de Cinna présentant la conjuration. On peut ajouter aux fameuses citations " A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire" ou " Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point les années" : "Plus le péril est grand, plus doux en est le fruit", " on n'est point criminel quand on punit un crime", " Qui méprise sa vie est maître de la sienne" ou " Je suis maître de moi comme de l'univers"...
Cette tragédie qui semble très régulière au niveau de la forme - respect de la vraisemblance, unité de lieu, d'action, de temps... -, simple dans son intrigue, présente de très beaux caractères complexes, avec le très romanesque Maxilien, où les nombreux dilemmes et paradoxes soulignent la complexité de l'héroïque Cinna et du magnanime Auguste. Bien que les intérêts et le sujet de la pièce soient éloignés de nous, les vers présentent de " sublimes et divines beautés" comme dirait Mme de Sévigné.
Corneille, Cinna, livre de poche, 177 p.
Le Lysistrata d'Aristophane : ISSN 2607-0006
" La guerre sera l'affaire des femmes" : Avant de commencer à lire la pièce mieux vaut connaître le contexte : la guerre du Péloponnèse ( 431-404 av. JC), époque à laquelle Aristophane, fait jouer ses pièces, dure depuis une vingtaine d'années. Athènes subit de nombreuses défaites et après la mort de Périclès ( en 429 av. J.C.), Cléon est bien décidé à mener une guerre à outrance pour imposer l'hégémonie d'Athènes. Pièce politique, Le Lysistrata, met en scène une femme - protagoniste éponyme - qui oblige les femmes à faire la grève du sexe pour amener les hommes à faire la paix. Elle envoie le demi-choeur des vieilles pour assiéger l'Acropole où était tenu l'argent de la cité. Hélas, les femmes présentées de manière misogyne préfèrent "passer à travers le feu", " plutôt cela que le membre". (p. 17)
Le comique du bas corporel fait partie des procédés traditionnels de ce genre mais étendu à toute une pièce, cela devient vite lassant : disons que le rire étant historique, le comique lié aux jeux de mots sur le sexe ne m'ont pas paru risibles. Heureusement qu'il n'est pas question que de sexe et qu'à partir d'une solution fantaisiste - les femmes prenant le pouvoir, ce qui tient bien de l'inversion carnavalesque et qui est inpensable au Veme siècle dans la Grèce ancienne - Aristophane critique la mauvaise gestion politique des Athéniens. La guerre, contre sa rivale Sparte, oblige le pays à payer un lourd tribut, argent et hommes, comme le rappelle Lysistrata dans son dernier réquisitoire contre la guerre : " Puisque je vous tiens, je veux vous faire à tous de justes reproches, vous qui d'une ablution commune arrossez les autels, comme les enfants de la même famille, à Olympie, aux Thermopyles, à Pytho ( combien d'autres lieux, je citerai, si je devais métendre), quand vos ennemis les Barbares sont là en armes, vous tuez des Héllènes et détruisez leurs cités!" ( p. 117).
On peut voir ainsi l'importance du théâtre dans la cité athénienne : la comédie ancienne fait partie des fêtes données lors des Dyonisies, fêtes qui reflétaient la puissance d'Athènes. Cette institution démocratique mettait donc en scène des problèmes d'actualité : Aristophane propose à travers ses comédies, une belle plongée au coeur de la Grèce du Veme siècle av J.C. et cette pièce subversive donne envie de découvrir les autres pièces de cet auteur.
Aristophane, Le Lysistrata, édition en poche bilingue, Les belles Lettres, 188 p.
Participation au challenge mélange des genres de Miss Léo ( Mon bilan)
Lecture commune avec Claudia, Océane et Margotte.
Documentaires pour en savoir davantage sur la guerre du péloponnèse. ou Sparte, une cité exceptionnelle ( history channel) .
La locandiera de Goldoni : ISSN 2607-0006
Surnommé le "Molière italien", Goldoni ( biographie sur le site Larousse), avec La Locandiera, a écrit une petite comédie, en trois actes, réjouissante où on retrouve avec plaisir tous les procédés comiques traditionnels comme le comique de caractère avec un protagoniste obsédé par sa haine des femmes, ou un marquis imbu de ses prérogatives nobiliaires.
Pour punir un chevalier misogyne, Mirandoline, une hôtelière, décide de le séduire. Elle use de tous les artifices féminins : évanouissements, propos flateurs... Dans son avis au lecteur, Goldoni parle de cette pièce en ces termes : ce serait une pièce " la plus morale, la plus utile, la plus instructive". Quelle est la leçon de cette pièce ? Empêcher les hommes de tomber dans les " périls" de la séduction féminine ? Cependant, on voit bien que le Chevalier n'est nullement guéri de son défaut et en parlant des " funestes pouvoirs" des femmes, il semble encore plus l'ennemi des femmes qu'au premier acte. Son défaut n'en est que plus renforcé ! Quant à la manipulatrice, elle s'en tire à bon compte. Peut-on encore parler de morale ?
Cela a le mérite de souligner la complexité de cette pièce, dont les caractères ne sont pas facilement cernables comme dans la commedia dell'arte. Justement, l'édition folio bilingue présente quelques pages en couleurs, représentant le théâtre de l'époque, reproduisant des tableaux des pièces de Goldoni.
A ces illustrations s'ajoutent des commentaires sur la réforme goldonienne : l'apprentissage des textes par les acteurs qui remplace les lazzi, l'absence des masques, et l'abandon des types. C'est d'ailleurs ce théâtre réformé qu'il met en scène dans La locanderia. A la fin de l'acte I, deux comédiennes apparaissent. Quel est leur rôle ? Quel lien avec l'intrigue ? Elles feignent d'être des dames nobles mais leur jeu issu de la commedia dell' arte est si caricatural que Mirandoline les démasque vite. Leur attitude et propos s'opposent au naturel de Mirandoline qui joue les séductrices avec tant de vraisemblance que le Chevalier tombe dans son piège : ne peut-on pas y voir le triomphe du théâtre réformé de Goldoni ? Assurément une pièce très enlevée qui fait découvrir le théâtre italien du XVIIIeme siècle et qui vaut bien à Goldoni son surnom de " Térence de l'Adriatique".
Goldoni, La Locandiera, Folio bilingue, 284 p.
Participation au challenge mélange des genres de Miss Léo ( mon bilan)
L'école des femmes de Molière : ISSN 2607-0006
"Epouser une sotte est pour n'être point sot" (I, 1) :
Craignant d'être cocufié, Arnolphe - décidé à se faire appeler monsieur de la Souche pour s'anoblir - décide d'élever Agnès loin de la société et du savoir. Il craint toutes les précieuses de son temps : "Femme qui compose en sait plus qu'il ne faut" selon lui. La tenant cachée,il lui enseigne la soumission, tout en montrant l'importance des hommes : "du côté de la barbe est la toute puissance" ( III,2). Cependant, toutes les ruses et les maximes de ce vieux barbon ridicule sont inefficaces face à l'amour véritable qu'éprouve Agnès pour Horace. Peu à peu, le ridicule bourgeois voit ses plans s'effondrer face à une jeune fille qui s'impose comme un véritable sujet.
" car il faut craindre un revers de satire" (I,1) :
La caricature du bourgeois monomaniaque est fréquente dans le théâtre moliéresque. Arnolphe est aveuglé, emblématisé dans le dialogue de sourd avec un notaire, et incapable de changement. Son langage se révèle en inadéquation avec la situation lorsqu'il parle comme Sertorius ( Corneille) du thème de cocuage. Les grandes règles théorisées par les doctes classiques sont respectées : unité de temps, de lieu et d'action. Cependant, L'école des femmes suscite une vive polémique, mise en scène dans La critique de l'école des femmes. Quels sont les griefs adressés à Molière ? Il aurait tenu des propos scandaleux en parodiant des sermons, les 10 commandements, et surtout la scène du "le" provoque la colère des prudes : de nombreux propos grivois choquent le public. L'évolution d'Agnès va aussi à l'enconte des types comiques. Ce personnage complexe permet au dramaturge de démontrer que l'ignorance n'est pas consubstantielle à la femme mais liée à son manque d'éducation. Cette pièce, qui apparaît très conventionnelle, trangresse en fait les genres : l'auteur du Misanthrope fait côtoyer dans cette pièce des scènes dignes de la commedia dell arte tout en parlant de sujet sérieux comme les moeurs de la société, notamment la question de l'éducation de la femme et de sa place dans la société.
"Le moyen d'empêcher ce qui fait du plaisir" ?
Alors que dans Les précieuses ridicules ou Les Femmes savantes, Molière ridiculise les précieuses, il défend dans L'école des femmes leurs idées progressistes sur la question de l'amour, perçu comme une valeur civilisatrice de l'éthique mondaine, de l'éducation et la sujétion aux hommes. Mais Paul Bénichou dans Morale du grand siècle souligne la position très originale de Molière en parlant de sa " liberté morale" : il promeut le désir naturel, ce que ne prône pas les précieuses. en outre, le théâtre de Molière n'est pas normatif : adhérant à l'éthique de la société galante, ne fait-il pas dire à Dorante dans La critique de l'école des femmes : "Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire". Et il est bien vrai que l'école des femmes est aussi plaisant à lire que La critique de l'école des femmes, Molière ayant ennobli sa comédie sérieuse d'une copia d'effets comiques.
Molière, L'école des femmes, Garnier Flammarion.
Bénichou, Morale du grand siècle, 210-294 p.
Lecture commune avec Claudia. Participation au challenge mélange des genres de Miss Léo ( mon bilan ici).
Comme il vous plaira de Shakespeare : ISSN 2607-0006
Jamais pièce shakespearienne n'a paru aussi libre dans sa construction et dans ses thèmes. Dès la fin du premier acte, Célia, fille du tyran Frédéric, qui a usurpé le pouvoir au vieux duc déclare : " Marchons avec joie, non vers l'exil, mais vers la liberté". Où se trouve cet espace de liberté ? C'est dans la forêt des Ardennes que se sont réfugiés le duc exilé et sa cour. C'est le même chemin qu'empruntera Orlando, chassé par son frère, qui lui refuse argent et éducation, et par l'usurpateur. Là, au gré des rencontres, se forment des duos, des couples, devisant sur l'amour, la Fortune, la mélancolie, les apparences... L'indépendance est présente aussi dans le personnage de Rosalinde, fille du vieux duc, qui quitte la cour par amour pour Orlando. Elle semble diriger l'intrigue obligeant Orlando à jouer une comédie de l'amour.
Pas étonnant que les romantiques voyaient en Shakespeare un modèle de renouvellement des règles sclérosées des Classiques. Changeant sans cesse de lieux, de personnages et d'intrigues, cette pièce nous fait traverser différents genres : se terminant comme une comédie, elle est aussi une pastorale avec des bergers dissertant sur l'amour. Poèmes et chansons parsèment les scènes. Mais la gravité n'est pas absente dans certains actes avec le personnage du mélancolique Jacques, proche des bouffons de tragédie et des problèmes très réalistes, comme les enclosures évoquées par le paysan Corin ou le droit de primogéniture que subit Orlando.
Mais c'est bien la comédie qui finalement fait triompher la vérité : Rosalinde déguisée, en jeune homme, cherche à savoir si Orlando l'aime réellement, et c'est ce déguisement qui permettra un dénouement heureux. Pièce hautement baroque, le mouvement et la question des faux-semblants parcourent toute cette brève pièce, où la Fortune se joue des hommes. Qui est le protagonatiste principal ? Quels sont les thèmes importants ? " Comme il vous plaira" nous semble dire la pièce.
Participation au mois anglais organisé par titine, Lou, Cryssilda.
Antoine et Cléopâtre de Shakespeare : ISSN 2607-0006
Tragédie de l'amour, formant un triptyque avec Roméo et Juliette et Troïle et Cresside, Antoine et Cléopâtre n'a pas l'éclat des autres pièces shakespeariennes : pièce historique aussi, elle représente la chute des héros éponymes à cause d'un conflit entre les trois triumvirs que sont Antoine, Octave et Lépide. D'emblée des tensions sont mises en valeur par la présence d'Antoine à Alexandrie alors que Rome l'appelle pour faire face aux attaques de Pompée. Un devin annonce un destin funeste à Charmian, suivante de Cléopâtre : le désastre se tisse peu à peu. Tout au long de la pièce, le déclin et la destruction se mettent en place - le devin viendra à nouveau annoncer la catastrophe à Antoine, mais entrecoupée de nombreuses scènes - par exemple la scène 5 de l'acte II, la scène entre Lépide, Agrippa et Mécène - dont on s'interroge sur la fonction. Ainsi des passages très poétiquement beaux côtoient d'autres insignifiants.
Swinburne parlait du " le plus grand poème d'amour de tous les temps". Tragédie ? Certes, oui, les héros semblent implacablement écrasés par un destin déjà tout tracé : "Les dieux sages alors nous aveuglent, dans notre boue ils noient notre esprit lucide, ils nous font adorer nos erreurs, et rient de nous qui nous en allons Fiers et contents à notre ruine". Mais peut-on parler d'amour ? Antoine meurt parce qu'il est vaincu militairement mais aussi parce qu'il croit que Cléopâtre est morte et qu'elle l'a trahi, mais sans aucun lyrisme. Quant à Cléopâtre, elle aime comme une "querelleuse", comme "une enchanteresse" rusée : mentant, critiquant mesquinement Octavie lorsqu'elle croit qu'Antoine va l'épouser, elle ne recule devant aucun subterfuge. Ils n'ont pas la grandeur amoureuse des fameux Roméo et Juliette. N'ayant pas retrouvé la force dramaturgique de l'écriture shakespearienne, j'ai suivi avec indifférence le destin funeste de ces deux héros descendus du piédestal où les a mis la légende mais avec plus d'intérêt la décadence historique...
Shakespeare, Antoine et Cléopâtre, GF, bilingue, 427 p.
Lecture commune avec Claudia et Océane, Miriam ; Participation au challenge Shakespeare organisée avec Claudia. Le récapitulatif ici.
Vagues souvenirs de l'année de la peste de J.L. Lagarce : ISSN 2607-0006
Le théâtre de Jean Luc Lagarce est un théâtre déroutant. P. Pavis le qualifie de "dramaturgie dissolvante" : il n'y a plus d'intrigue ni de personnages caractérisés. Quant à F. Sarrazac, il parle "d'infradramarturgie", avec la disparition du dénouement, l'absence de véritable dialogue... Le texte théâtral lagarcien repose sur le principe de la réécriture, Vagues souvenirs de l'année de la peste étant une réécriture de L'année de la peste de Defoe et Les règles du savoir-vivre dans la société moderne pastiche le manuel des bonnes manières de la baronne de Staffe. Cette réécriture se joue au coeur de son oeuvre elle-même, puisque Histoire d'amour présente des composantes présentes dans Derniers remords avant l'oubli...
"Rien jamais ne se dit facilement" (Juste la fin du monde) : Mais ce qui fait l'originalité du théâtre de Lagarce, c'est son écriture de la répétition, les répliques avançant en spirale, grâce à des autocorrections, à des cristallisations autour d'un mot... L'un des principaux thèmes de Lagarce est l'impossible communication des êtres. Bien qu'influencé par l'absurde d'un Ionesco ou d'un Beckett, la tragédie des personnages lagarciens ne se fait pas par une remise en cause du langage mais par une mise en scène de la parole impuissante. Pour éviter le conflit et pour contourner la difficulté de dire, une dame prend la parole et énonce toutes les règles de politesse dans toutes les situations de la vie dans Les règles du savoir-vivre dans la société moderne. L'élaboration de ce catalogue raisonné des règles de politesse - et non de vaisseaux - sert de ressort comique et d'humour souvent noir ou décalé : "Si l'enfant naît mort, est né mort, il faut quand même, tout de même, déclarer sa naissance, déclarer sa naissance et déclarer sa mort et un médecin devra attester que la mort a précédé la naissance"(premiers mots de la pièce).
"le complexe de Shéhérazade" (Florence Léca) : Dans Vagues souvenirs de l'année de la peste, on assiste à une suite de monologues formant des fragments de récits - l'épicisation du texte théâtral selon la formule de Bretch - donnant différents points de vue sur la fuite de Londres sur laquelle s'est abattue la peste. Evidemment, cette situation morbide et dramatique engendre des conflits, des haines, l'égoïsme... Chaque dialogue est séparée par le symbole suivant (...) exprimant une impossible harmonie entre la parole des personnages, chacun d'entre eux étant enfermé dans leur propre logos. Mais la mort que les personnages fuient, qu'ils cachent par leur logorrhée, ne fait que retarder une mort imminente : les personnages retournent à Londres où se déclenchent le "Grand Incendie". Le personnage lagarcien engage une lutte contre la parole mais aussi contre la mort. Ce théâtre atypique peut paraître au premier abord difficile d'accès, voire déplaisant, ressemblant à un théâtre du quotidien, mais progressivement, on se laisse prendre à sa poésie, à son lyrisme, à sa prose spiralée.
"- L'homme ( Daniel Defoe ?) : De nous, il ne reste pas grand chose... presque rien, quelques mots... des fragments... et puis aussi les objets auxquels nous tenions tant, et la vie encore... A la fin de cette année-là... nous devions déjà être au beau milieu du mois de novembre... l'automne... il pleuvait, la pluie, le vent... A la fin de cette année-là qui... comme chacun sait... qui avait été, par-dessus tout... terrible... " terrible entre toutes... nous pouvions entendre, au hasard des rencontres... des marchands ou vagabonds nous rapportaient ces nouvelles... nous pouvions entendre que dans la ville de Londres, la peste avait achevé son oeuvre... Nous commencions à oser nous réjouir de cela et personne ne s'inquiétait encore... plus qu'il n'est nécessaire en pareil cas... de savoir si l'épidémie cessait le plus naturellement du monde, par la lassitude de la mort... ou par manque de victime... faute de combattant se livrant à elle... (...) ( premières lignes de Vagues souvenirs de l'année de la peste).
Pour en savoir plus sur l'auteur : le site qui est lui dédié ici.
Lagarce, Vagues souvenirs de l'année de la peste, Les intempestifs.
Lagarce, Les règles du savoir-vivre dans la société moderne, Les intempestifs, 45 p.
Challenge en scène " catégorie Musset", organisé par Bladelor.