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3 juin 2012

Les préraphaélites, un modernisme à l'anglaise, Laurence des Cars : ISSN 2607-0006

63184491John Robert Parsons : Jane Morris - 1865

"Vous apercevez l'intérieur d'un atelier de charpentier. Au premier plan, un petit garçon hideux, aux cheveux roux, le col tendu, pleurnichant, en chemise de nuit ; il semble avoir reçu un coup sur la main, sans doute de la badine d'un autre petit garçon, avec qui il jouait dans la ruelle ou dans la cour ; et il la tient, cette main, sous le regard d'une femme agenouillée, si horrible dans sa laideur, qu'elle ressort (à supposer qu'une créature humaine puisse exister un seul instant avec un cou disloqué de cette façon) du reste de la compagnie tel un monstre, qui ne se déparerait pas le plus infect cabaret de France ou le plus dégoutant débit de boisson d'Angleterre[...]". Qui a écrit cette critique assassine du Christ dans la maison de ses parents de Millais ? Dickens dans Household world se fait le pourfendeur des préraphaélites : mouvement esthétique qui se voulait novateur, ils choisissent l’archaïsme pour renouveler la peinture de genre victorienne... Les débuts des préraphaélites sont marqués par le scandale et la polémique. On leur reproche leur rendu tellement léché qu'il en devient photographique, leur folie médiévisante... Ce bref ouvrage sur l'art, trop court, bien trop court, nous retrace l'évolution du groupe préraphaélites richement illustré sur beau papier glacé et entouré d'anecdotes et de documents.

Mais ces jeunes gens enthousiastes ne sont pas seulement peintres, ils sont aussi poètes, décorateurs... tout le monde connaît la célèbre anecdote autour du recueil Ballads and sonnets : Rossetti avait enterré ce recueil écrit en 1840 dans le tombeau néo-égyptien d'E. Siddal dans le cimetière de Highgate et il a été exhumé 30 ans plus tard... Leur inspiration est souvent littéraire comme dans les peintures telles que L'adieu au chevalier ou l'enchantement de Merlin (Burne-Jones), beata Beatrix (Rossetti)...

"J'entends par tableau, un beau rêve romantique de quelque chose qui n'a jamais existé et n'existera jamais, dans une lumière plus belle que toutes celles qui ont jamais brillé, dans un lieu que personne ne peut définir ou se rappeler, seulement désirer" ( Burne-Jones). Ce que j'admire chez ces peintres, c'est l'esthétisation du quotidien et ce, dans tous les domaines : leur intérieur, leur vie est dirigée par la peinture, la littérature, une volonté de renouvellement, d'engagement, d'échapper à leur réel... La décoration de la maison de William Morris, Hammersmith appelée Keldoms manor**- chef de file des arts and crafts - est un véritable chef d'oeuvre où on reconnaît ses tissus au motif des oiseaux.

En revanche, les dérives de cette peinture me semble représentée par une peinture telle que l'escalier d'or de Burne-Jones, qui sans véritable sujet, décline une même sorte de féminin, évoque une reproduction assez vaine ou Le printemps* de Millais ressemble vaguement à un photomontage mignard... Paradoxalement, ceux qui se voulaient novateurs ont fini par être les représentants de cette peinture victorienne qu'ils voulaient fuir... Ce petit ouvrage est comme une petite fenêtre ouverte sur l'univers préraphaélite...

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* Le printemps, Millais

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** intérieur de keldoms Manor

L'exposition Une ballade d'amour et de mort présentait des photographies préraphaélites : billet de Fleur, Lilly, thé au jasmin,

Les préraphaélites, un modernisme à l'anglaise, Laurence Des Cars, Découvertes Gallimard, 127 p.

Participation au challenge de Shelbylee " L'art dans tous ses états".

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24 mai 2012

L'art nouveau, la carte postale partie 2 : ISSN 2607-0006

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre, . Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour, . Est fait pour inspirer au poète un amour  C’est ici une belle occasion, en vérité, pour établir une théorie rationnelle et historique du beau, en opposition avec la théorie du beau unique et absolu; pour montrer que le beau est toujours, inévitablement, d’une composition double, bien que l’impression qu’il produit soit une; car la difficulté de discerner les éléments variables du beau dans l’unité de l’impression n’infirme en rien la nécessité de la variété dans sa composition. Le beau est fait d’un élément éternel, invariable, dont la quantité est excessivement difficile à déterminer, et d’un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l’on veut, tour à tour ou tout ensemble, l’époque, la mode, la morale, la passion. Sans ce second élément, qui est comme l’enveloppe amusante, titillante, apéritive, du divin gâteau, le premier élément serait indigestible, inappréciable, non adapté et non approprié à la nature humaine. Je défie qu’on découvre un échantillon quelconque de beauté qui ne contienne pas ces deux éléments. " ( Baudelaire, "Le peintre de la vie moderne") : Cette définition baudelairienne du beau s'appliquerait parfaitement aux cartes postales illustrées qui présentent une époque, des élements fugitifs... L'album L'art Nouveau, la carte postale, richement illustré nous permet de découvrir des graphistes et graphismes méconnus de tous les pays :

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La Belgique est un pays d'avant-garde en ce qui concerne la prodution de cartes postales illustrées. Gisbert Combaz est d'ailleurs considéré comme un classique de la carte postale Art Nouveau. Spécialiste de l'art chinois, on trouve dans ses graphismes de nombreuses influences de l'art oriental. Mignot (ci-dessous) s'est surtout illustré grâce à sa série " les sport".

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Le "style Mucha" devient synonyme de modernité. Jouant sur la bidimentionnalité, il privilégie le symbolisme et la sensualité dans ses graphismes, qui sont souvent asymétriques. Mucha a de multiples de talents, il est à fois peintre, costumiste, affichiste, graphiste... Il fréquente l'académie Julian à Paris et c'est en 1894 avec l'affiche Gismonda pour S. Bernardt, qui remporte un grand succès, qui marque les début du "style Mucha". C'est l'éditeur champenois qui a l'idée d'imprimer les oeuvres de Mucha sous forme de panneaux, de menus ou de calendriers et Mucha commence aussi l'édition des cartes postales représentant presque toujours les mêmes images avec quelques variantes. Après avoir participé dans les années 80 à quelques projets de pavillons pour l'exposition universelle, il abandonne en 1900 le style Art nouveau et retourne vers des formes plus académiques. Il enseigne à New-York et Chicago de 1904 à 1012, puis il vit principalement en Tchécoslovaquie où il célèbre la culture slave. (source : biographie p. 354, L'Art Nouveau, La carte postale).

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France, Steinlen a fréquenté le cercle du " Chat noir", Il représente dans diverses revues comme Le gil Blas illustré, L'écho de Paris, la vie moderne, le prolétariat et les déshérités.

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Une des particularités de la Grande Bretagne qui a produit tardivement des cartes postales illustrées, c'est qu'il y a de nombreuses femmes illustratrices comme Kate Greenaway ( image 1),  A. K. MacDonald (carte postale illustrée 2), Evangeline Daniell, Ethel Parkinson...

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L'art nouveau, La carte postale,Fanelli, E. Godoli, Celiv, 375 p., partie 1 ici.

Challenge "L'art dans tous ses états" de Shelbylee.

23 mai 2012

L'art nouveau, la carte postale, partie 1 : ISSN 2607-0006

artnou1cg3Pourquoi consacrer un ouvrage à la carte postale illustrée ? La réponse nous est donnée par un journaliste anglais : "Quand les archéologues du XXXsiècle commenceront à fouiller les ruines de Londres, ils s'intéresseront avant tout à la carte postale illustrée, meilleur guide qui soit pour comprendre l'esprit de l'époque Edouard VII. Ils recueilleront et rassembleront des milliers de ces petits cartons et reconstruiront notre époque à travers les étranges hiéroglyphes et les images que le temps aura épargnés. Parce que la carte postale illustrée est un témoin candide de nos distractions, de nos passe-temps, de nos us et coutumes, de nos attitudes morales et de notre comportement." (1907, James Douglas, Préface).

Peu de livres sont consacrés à la carte postale illustrée, considérées peut-être comme un art mineur selon le crédo de l'Art nouveau qui est "l'art dans tout" et "l'art pour tous". Et pourtant ce type de message à la fois visuel et verbal marque le début de la civilisation de l'image : il est en même temps le reflet de la culture figurative et des moeurs de la société. Les artistes ont représenté aussi bien des centres artistiques comme Le chat noir ou des femmes du quotidien qu'on appelait le style " La petite femme". Les autres thématiques majeures sont le sport, les paysages avec la représentation des stations balnéaires marquant le début des loisirs de masse, tous les phénomènes marquants de la Belle Epoque. Albert Guillaume est par exemple un des " reporters graphiques" des fastes du beau monde.

Justement, produit de la société de masse, elles en reflètent les mythes, les nouveautés... Les cartes postales ont en outre un lien avec la publicité et les affiches : en 1872, elles permettent de faire la publicité pour les illustrations sur Londres de Gustave Doré. Mais les décorations ne sont pas là seulement pour la joliesse ou pour l'aspect commercial, elles représentent parfois des critiques sociales ( Théophile Steinlen) par le biais des caricatures ou pendant les guerres, elles incitaient à la souscription pour les emprunts nationaux.

Ce beau livre abondamment illustré présente des biographies à la fin de l'ouvrage, bien que lacunaires souvent, ce domaine n'ayant pas fait d'archives systématiques, et des illustrations classées par pays. Des origines de la carte illustrée aux différentes techniques d'impression, cet ouvrage montre bien qu'elle est un moyen de "propagande esthétique" selon l'expression de Steinlen. Il faut dire qu'à ses débuts, la carte postale était moins un moyen de communication qu'une affaire de collectionneurs...

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* R. Kirchner ( Autriche) et Berthon (France), "La série des chemins de fer".

L'art nouveau, La carte postale, G. Fanelli, E; Godoli, Celiv, 375 p.

challenge "l'art dans tous ses états" de Chelbylee

16 mai 2012

Portrait-souvenir de Balzac de Simenon : ISSN 2607-0006

Sous ce titre trompeur de Portrait-souvenir de Balzac, on peut découvrir de nombreux textes et articles de Simenon, riches par leur diversité : il décrit de grands écrivains dans la Revue Sincère, que ce soit Daudet, Maurice Barrès ou bien il défend Maupassant, tout en affirmant que " tout ceci n'est qu'opinion d'un homme qui se défend d'avoir des idées". Sous ce titre est aussi rassemblés des conférences, des articles sur le roman policier et des préfaces...

Le portrait de Balzac est court mais extrêmement vivant. Aucun élément nouveau n'est avancé par rapport à d'autres biographies mais il met en valeur la vocation d'écrivain de Balzac, son génie romanesque... Comme un personnage de la comédie humaine, Balzac, une fois arrivé à Paris ne cessera de rechercher le succès. De nombreuses citations et extraits de lettres apparaissant comme un catalogue complètent ce portrait dynamique et admiratif pour l'auteur du père Goriot : " L'idée monumentale ne lui viendra d'ailleurs qu'assez tard, à quarante deux ans. Et pour le mener à bien, il faudra, comme il le répète si souvent, sacrifier sa vie privée, son bonheur personnel." (p.47).

Dans une autre conférence "l'aventure est morte" qui se présente comme une causerie, il parle de la mort de l'aventure géographique ; car c'est le roman qui est en fait la véritable aventure : " Et dans le grand Nord, en pleine Laponie, j'oserais à peine vous dire quel moyen de transport nous attendait. Un traineau, bien sûr ! Mais un traineau tiré par une grosse motocyclette américaine qui pétaradait comme un dimanche de course sur la place d'une petite ville" (p. 138). Au passage, il égratigne volontiers les colons.

Mais ce qui frappe dans cette série d'article, c'est le portrait de l'écrivain Simenon qui apparaît en filigrane : parle-t-il de la genèse d'un roman de Maigret qu'il nous conte les conditions dans lesquelles il l'a écrit - en Hollande après l'achat de l'Ostrogoth qui lui permit de voyager dans toute la France et en Europe... De facto, Simenon a beaucoup voyagé, jusqu'en Amérique. Quand il parle de Daudet, se profile le visage malicieux du jeune journaliste qu'il était. Et puis c'est aussi un grand causeur : veut-il nous parler des codes du roman policier, il l'aborde grâce à une anecdote sur Victor Hugo lors d'une représentation d'Hernani. Ainsi portrait de l'homme et théorie littéraire se mêlent intrinsèquement dans un style vivant et bref... C'est donc une manière agréable d'aborder une partie de l'oeuvre journalistique de Simenon, tout en découvrant quelques parcelles de sa biographie...

Simenon, Portrait-souvenir de Balzac, Bourgois, 299 p.

Autre roman : L'affaire saint-fiacre

Merci à dialogue pour ce partenariat et à Caroline.

31 mars 2012

L'art d'aimer d'Ovide : ISSN 2607-0006

Vous souhaitez trouver l'homme ou la femme qui vous convient ? Vous voulez ensuite faire perdurer votre amour ? Alors prenez pour maître Ovide, suivez ses conseils... Mais L'art d'aimer n'est pas une oeuvre banale : aimer serait soumis à des règles comme un art poétique ? Ovide évidemment parodie les traités de l'agriculture, de chasse, militaire, de l'époque en empruntant ainsi maints images qu'on trouve dans de tels ouvrages. Ne lisez pas cet essai comme un guide mais comme une oeuvre qualifiée d'érotique - dans le sens qui a trait à l'amour et non à la sexualité - , une oeuvre légère et parfois satirique qui semble-t-il aurait valu l'exil à Ovide tant son oeuvre est irrévérencieuse, critiquant certaines institutions de manière oblique... alors qu'Auguste voulait retrouver un certain "puritanisme"...

"Où chercher ? : A Rome, même. Tandis que, libre encore, tu vas où tu veux, la bride sur le cou, choisis celle à qui tu puisses dire : " toi seule me plais". Elle ne tombera pas du ciel, glissant parmi l'air subtil ; il te faut chercher la femme qui te charmera tes yeux. Il sait bien, le chasseur, où tendre les filets à cerf ; il sait bien la vallée que hantent les grognements du sanglier ; [...]".

Au cirque : Ne néglige pas non plus les courses où rivalisent les chevaux généreux. [...] Si comme il arrive, il vient à tomber de la poussière sur la poitrine de ta belle, que tes doigts l'enlèvent ; s'il n'y a pas de poussière, enlève tout de même celle qui n'y est pas : tout doit servir de tes soins officieux. Le manteau trop long traine-t-il à terre ? Prends-en le bord, et, avec empressement, soulève-le du sol malpropre.Aussitôt récompense de ton zèle officieux, sans que ta belle puisse s'en fâcher, tes yeux verront des jambes qui en valent la peine" !

"Si les larmes te font défaut ( car elle ne viennent pas toujours à commandement), mouille-toi les yeux avec la main. "Je ne t'ordonne pas non plus d'offrir ta poitrine aux flèche. Mon traité, prudent, te donneras des ordres plus faciles à suivre" ! écrit-il suite à l'histoire de Milanion et d'Atalante. "

"L'amour au teint de rose" : la mythologie comme l'évocation de Dédale ou l'épisode de la Diane chasseresse, côtoie ces conseils parodiques, et le ton docte n'est pas sans créer un certain humour. Les références aux " fils d'Eson", ou à "Ménale" d'ailleurs rendent parfois ardu la lecture de ce traité. On ne peut que souligner la modernité d'Ovide qui a construit son ouvrage en trois parties dont une concerne les conseils donnés à des femmes. Une excellente oeuvre comique qui mérite d'être relu à côté des Métamorphoses qui ont peu éclipsés les autres oeuvres de l'auteur...

Ovide, L'art d'aimer, Belles Lettres Hatier, 221p.

Participation au challenge de l'Irrégulière. Lu aussi par Neph

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8 mars 2012

Cahiers secrets d'une costumière de théâtre de Pascale Bordet : ISSN 2607-0006

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" Etre dans le vent est une ambition de feuille morte" (Maupassant) : Ce sont bien des secrets que nous fait partager la talentueuse Pascale Bordet dans ce magnifique album illustré par ses croquis qui sont tous d'un vif éclat, colorés et raffinés. Etre costumière est très éloigné du métier de styliste : un costume doit vivre non pas le temps d'un défilé mais tout au long des répétitions et des représentations... Il faut donc bien choisir son tissu, utiliser des trucages pour le changement rapide de costume entre deux scènes, que le rendu soit parfait vu de loin... car le costume est un langage qui doit faire vivre un personnage.

Ingénieusement présenté comme une pièce de théâtre, cet album commence par "l'apprentissage", "la création" puis la découverte "des coulisses" et enfin "en scène", avec l'acte I, etc... C'est donc aussi un autoportrait que nous livre cette costumière : entre deux croquis, elle nous raconte son parcours, sa passion pour les tissus,  sa manière de créer, ses relations avec les acteurs... Certains croquis sont plus humoristiques et parlent du destin de ces costumes qui parfois s'abîment et vieillissent : vous pouvez d’ailleurs aller les voir dans l'exposition " L'envers du décor" au CNCS (pour plus d'informations, ici). L'album tisse des citations, des anecdotes, des notes de services... On regrette juste que la dimension technique soit si peu abordée. P. Bordet évoque bien les différentes nuances de couleurs, l'obligation de bien connaître les époques esthétiques... Mais les dessins priment dans l'ensemble. Du reste, de splendides photos côtoient les croquis de la costumière, immortalisant ainsi ses chefs-d'oeuvre.

Cahiers secrets d'une costumière de théâtre, Pascale Bordet, photographie de Laurencine Lot, HC éditions. ici le site de P. Bordet

lu aussi par Eiluned,participation à son challenge album.

Participation au challenge "read me, I'm fashion" de L'Irrégulière.

 

26 février 2012

Le chapeau de Mr Briggs de kate Colquhoun : ISSN 2607-0006

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"La folie du rail" : A. Christie semblait fascinée par les trains et a placé dans ces lieux clos plusieurs meurtres sauvages... Quant à Zola, s’inspirant d'une histoire réelle, le meurtre de Poinsot par Charles Judd, il écrit La bête humaine. En 1853, un meurtre effroyable ayant lieu dans un train va défrayer les chroniques londoniennes : Le chapeau de Mr Briggs retrace cette histoire réelle qui concurrence la fiction tant les rebondissements et les éléments de l'intrigue sont semblables à ceux de Wilkie Collins et à l'histoire Le secret de Lady Audley d'E. Braddon. Kate Colquhoun fait d'ailleurs de nombreux parallèles entre le roman d'E. Braddon et la mentalité de l'ère victorienne. Quel choc pour les bourgeois "comme il faut" lorsqu'ils apprennent qu'un homme respectable comme Mr Briggs, travaillant à la City et "bon père de famille", sans histoire, se fait assassiner dans le train qui le ramenait tous les samedis rejoindre son tranquille foyer ! La presse évidemment s'empare de l'affaire, en même temps que la police, qui va piétiner un bon moment entre de faux aveux et des vrais pistes... laissées en suspens ! L'horreur est à son comble ! plus personne ne se sent en sécurité.

C'est avec beaucoup de brio que K. Colquhoun recrée l'atmosphère tapageuse de l'East End et l'horreur croissante de la bourgeoisie, tout en faisant allusion à littérature contemporaine de l'affaire - du peuple de Dickens, à La dame en blanc, de Wilkie Collins - et en y insérant habilement de surprenantes phrases très romanesques : "Au-dessus de sa tête le frêle croissant d'une nouvelle lune limpide vibrait entre les nuages". La presse se fait l’écho de cette littérature dite "à sensation": "on crut un moment que l'inspecteur Kerresey poursuivait en chaise de poste un suspect à travers les montagnes d'Ecosse" (p. 82). Mais le réel imite l'art et dépasse la fiction quand on apprend que ce n'est pas dans les montagnes d'Ecosse qu'on poursuit le criminel mais à New York !

Historienne de formation, K. Colquhoun décrit minutieusement la recherche des indices, les témoignages - qui se répètent à la longue - l'affaire judiciaire, le déroulement des séances etc... ce qui nous permet de nous plonger au cœur de l'histoire. Toutefois, la "forêt de noms propres" et le foisonnement des lieux nous laissent étourdis, voire abasourdis. Surtout, ce crime réveille maints problèmes concernant la presse, la sécurité dans les trains et la question de l'abolition de la peine de mort. La dimension historique n'est pas oubliée avec les pressions de la Prusse sur le Danemark, pays de la nouvelle reine, femme d'Edward. Malgré le foisonnement d'informations, ce livre documentaire - il y a un "sentiment d'histoire" selon une expression de Taine - développe de manière extraordinairement passionnante l’atmosphère et les problèmes de l'Angleterre du XIXeme siècle.

Colquhoun, Le chapeau de Mr Briggs, Bourgois, p.458.

Lu aussi par Ys et Alicia

29 juin 2011

Fragments d'un discours amoureux de Barthes : ISSN 2607-0006

Comme Mythologies ou Le degré zéro de l'écriture, les textes de Roland Barthes sont des réflexions, proche de l'essai mais tout en restant inclassables, surtout lorsque le sujet est aussi vaste que le discours amoureux. A travers 17 chapitres intitulés " Angoisse", " Atopos ", "Insupportable"*... Barthes étudie le comportement amoureux dans des romans célèbres ou des situations courantes. Car comment parler de la jalousie sans parler du narrateur proustien ou quel conte mieux que La bête et la Belle représente la quête de l'amour ?

" C'est donc un amoureux qui parle et qui dit..."

"Altération" : Ainsi pour aborder l'altération de l'image de l'autre dans un couple, selon Barthes, elle se fait par le langage. En prenant l'exemple proustien justement, il montre comment le langage d'Albertine crée une répulsion chez le narrateur. " se faire casser le pot" crée une réaction horrifiée chez Marcel. "Jalousie" : A partir de la définition du Littré, l'auteur analyse le thème de la jalousie dans Les souffrances de Werther, autre grand amoureux de la littérature allemande. L'écriture de Barthes est poétique tout en étant émaillée d'images concrètes : la course amoureuse est comme une course de mouche selon l'auteur ! "Rencontre" : En ce qui concerne la rencontre amoureuse, Barthes évoque le célèbre passage entre Bouvard et Pécuchet où chacun a l'intime conviction de reconnaître et de connaître l'autre...

Les essais se prêtent moins bien à l'écoute pour la simple raison qu'ils demandent beaucoup plus d'attention.  A ne pas écouter donc, en faisant mille choses, et même avec une attention raisonnable, on a tendance à réécouter certains passages. La voix du lecteur est très importante, car si on réagit d'une manière épidermique à certaines voix, on n'a plus envie de l'écouter, ce qui n'est pas le cas de Luchini. En fait, qu'on aime ou qu'on aime pas son timbre de voix, la lecture reste agréable et sa conviction nous entraine dans ce texte hybride dédié à l'amour. Retrouve-t-on le souvenir de nos années enfantines où on se laissaient bercer par la voix de nos parents ? toujours est-il qu'écouter les livres reste de vrais instants de plaisir...

Fragments d'un discours amoureux de Barthes, 1h10,

Merci Audiolib pour ce partenariat.

* Edit du 1/07 : ce sont des extraits, le texte n'est pas intégralement reproduit.

23 avril 2011

Le Rhin, lettres à un ami de V. Hugo : ISSN 2607-0006

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"L'esprit de tout rêveur chausse les bottes de sept lieues" (préface) : V. Hugo écrit sa première lettre sur son voyage près du "rhenus superbus" en 1838, lors d'un périple avec J. Drouet qui va l'amener jusqu'en Allemagne, puis un deuxième voyage en 1839 l'amène en Suisse. "Que faire sur la banquette d'une diligence à moins qu'on regarde ?", écrit V. Hugo à son ami. Et V. Hugo ne cesse d'observer ce qui l'entoure, il loue la beauté des paysages tout en racontant mille anecdotes anodines, faisant la peinture en mouvement des gens, des villes, de la nature...

Ce qui étonne, c'est que le voyage est plus temporel que spatial : les descriptions de monuments sont souvent austères, précises et techniques. Transepts, absides, nefs, vitraux, rien n'est épargné aux lecteurs. L'évocation d'un nom historique entraine un inventaire aride d'hommes historiques. Citations, listes de noms, de villes, on retrouve dans le style épistolaire l'esthétique de ses romans. Mais la pesanteur des listes érudites est allégée par d'amusantes anecdotes notamment celle de la tradition des pourboires ou elles se font parfois poétiques car "la marche berce les rêves" : " le Rhin lui-même semble s'être assoupi ; une nuée livide et blafarde avait envahi l'immense espace du couchant au levant ; les étoiles s'étaient voilées l'une après l'autre ; et je n'avais plus au-dessus de moi un de ces ciels de plomb où plane, visible pour le poète, cette grande chauve-souris qui porte écrit dans son ventre ouvert: melancholia".

Mais V. Hugo (Une exposition virtuelle est consacrée à V. Hugo sur le site de la BNF) est bien un homme de son temps, le chef de file des romantiques. Son intérêt pour les ruines, les légendes anciennes et le passage du temps sont des thèmes typiquement romantiques. De même, l'importance de la nature ou la dimension fantastique de certaines descriptions, lors de la découverte du tombeau de Hoche, découverte dans le clair de lune à Weiss Thurm, reflètent l'engouement des Romantiques pour l'ailleurs, le surnaturel... Plus il s'approche du Rhin, plus les lignes sont hantées par des présences invisibles, les légendes de la dame blanche, de la tour des rats de Falkenstein...

Baudelaire disait de Victor Hugo ( Réflexions sur quelques-uns des mes contemporains, 1861) : "L'excessif, l'immense sont le domaine naturel de V. Hugo ; il s'y meut comme dans son atmosphère naturel". C'est effectivement des descriptions grandioses qui de dégagent de ces lettres, dépassant largement le cadre d'un simple récit de voyage, avec une évocation de l'histoire passée et présente. Ces lettres nous livrent un beau voyage dans le temps et l'espace, tout en savourant le style si particulier d'un poète, romancier et dramaturge représentatif du XIXeme siècle.

Hugo, Le Rhin, lettres à un ami, Le voyage littéraire, François Bourin éditeur, 564 p.

Autres oeuvres : Les travailleurs de la mer, Ruy Blas,

Merci BOB pour ce partenariat ainsi que les éditions François Bourin

27 février 2011

La vie immortelle d'Henrietta Lacks de Rebecca Skloot : ISSN 2607-0006

9782702141748-T

Des milliers d'heures d'interviews, des proches, de la famille Lacks, des recherches d'archives permettent à R. Skloot, journaliste scientifique de retracer le destin extraordinaire de H. Lacks. Mais qui est cette femme ? Peut-être la connaissez-vous sous le nom de HeLa, code de cellules qui ont permis une percée très importante dans le domaine médical comme le séquençage génétique, la fécondation in vitro ? Au-delà de l'aspect scientifique, qui se cache derrière ces cellules ? Tout en décrivant son enquête journalistique dans les années 1990, elle reconstitue la vie d'Henrietta Lacks, dans les années 50 à Baltimore, en période de ségrégation raciale.

Comment ce projet lui est venu ? " Il y a sur le mur, la photo d'une femme que je n'ai jamais rencontré . Le coin gauche est déchiré et recollé au ruban adhésif. Arborant un tailleurs impeccablement repassé, elle regarde droit dans l'objectif et sourit, les mains sur les hanches, les lèvres peintes en rouge vif. Nous sommes à la fin des années quarante et elle n'a pas encore trente ans. Sa peau brun clair et lisse, ses yeux encore jeunes et espiègles, semblent se rire de la tumeur, qui privera ses cinq enfants de leur mère, et bouleversera à jamais le cour de la médecine. Sous la photo une légende indique Henrietta Laks, Helen Lane, Helen Larson". C'est donc une photo anonyme, vu à 16 ans dans un cours de sciences, qui amène l'auteur à s'interroger sur la famille Lacks et à se pencher sur divers problèmes éthiques et sociaux.

Si ces cellules ont permis de grandes découvertes scientifiques, elles sont aussi à la base d'un questionnement moral : pourquoi la famille Lacks n'a eu connaissance de la culture cellulaire qu'en 1973 alors qu'elles étaient étudiées depuis 1951 ? Pourquoi cette famille n'a pas les moyens de payer des frais médicaux alors que la commercialisation des Hela est devenue une industrie qui brasse des millions ? Ce récit soulève aussi des questions d'éthique. D'ailleurs l'histoire des sciences est évoquée avec ses tâtonnements, et ses dérives comme les travaux de l'eugéniste Carrel et le procès Nuremberg. Est-ce que les médecins ont enfreint la loi en prélevant des cellules d'Henrietta sans le consentement de sa famille ?

Parallèlement à l'avancée des recherches scientifiques, Rebecca Skloot, en hommage à cette femme inconnue et oubliée qui a contribué au bien-être de l'humanité, nous trace son portrait tout en narrant ses démarches journalistiques et ses difficultés. Il lui aura fallu dix ans pour écrire ce livre ! Cette enquête passionnante et instructive, qui aborde des thèmes aussi variés que la question des lois raciales, de l'éthique, de la science est aussi un bel hommage à Henrietta Lacks.

Skloot, La vie immortelle d'Henrietta Lacks, Calmann-levy, 431p.

Merci à BOB et aux éditions Calmann-levy pour ce partenariat

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