Une jeunesse au temps de la Shoah, extrait d'Une vie de Simone Veil : ISSN 2607-0006
De nombreux témoignages sur les camps de concentration existent comme Mauss de Spiegelman, Si c'était un homme de Primo Levi... Mais aussi Une vie de Simone Veil. Dans les quatre premiers chapitres de son autobiographie, la femme politique Simone Veil décrit son enfance privilégiée à Nice et la montée du nazisme - à travers le témoignage de réfugiés - et enfin la déportation.
Sans pathos, elle arrive à retranscrire l'incertitude de l'époque ou la réaction des déportés ou des gens face aux déportés lors de son retour en France. Surtout, elle s'interroge : " Parler de la Shoah, et comment ; ou ne pas en parler, et pourquoi ? Eternelle question?" (p. 113). Elle soulève d'autres questions et ne se montre jamais arrogante ni moralisatrice. Elle évoque aussi d'autres témoignages ou livre sur les camps, notamment Eichmann à Jerusalem d'Hannah Arendt. Il me semble toutefois qu'elle réduit la portée des propos d'H. Arendt en évoquant seulement le fait que tout homme peut être mauvais... La philosophe parle surtout de l'absence de réflexion, de pensées, chez les nazis qui ont conduit au système concentrationnaire...
Toujours avec sobriété, Simone Veil raconte aussi son parcours de femme. Enfant, au moment où Simone Veil et sa famille connaissent des difficultés financières, sa mère, qui est mère au foyer, lui dit : "Il faut non seulement travailler mais avoir un vrai métier" (p. 45). Lorsqu'elle devient adulte et mère de deux enfants, son mari ( comme son père avec sa propre mère) refuse de la laisser travailler. Mais cette future magistrate montre toute sa détermination et décroche son diplôme, à une époque où les femmes n'avaient pas encore accès à tous les métiers de la fonction publique : "Le parcours était semé d'embûches, mais c'était mal me connaître que d'imaginer que j'abandonnerais la partie dès les premiers obstacles" (p. 143).
C'est donc à la fois l'écriture sobre et le caractère déterminé, d'une grande ouverture d'esprit de cette femme qu'on peut admirer dans cette autobiographie. Pourquoi lire ce livre ? Voici la réponse de l'écrivain : " L'idée d'extraire de ma biographie les queslques passages qui peuvent être regardés comme d'utile pédagogie vis-à-vis de la jeunesse d'aujourd'hui m'a paru séduisante" S. V. "
Veil Simone, Une vie (extrait), Le livre de poche, France, octobre 2021, 147 p.
La famille Jacob, pages centrales, Une vie, Le livre de poche
Le vieux fou de dessin de François Place : ISSN 2607-0006
A partir de faits biographiques réels, l'auteur-illustrateur François Place brode une histoire imaginaire lui permettant de mettre en scène un artiste emblématique du Japon : Hokusaï. En imaginant la rencontre d'un petit garçon analphabète et le "vieux fou de dessin", F. Place nous emmène dans les coulisses de la création de ce peintre. On découvre, à travers le turbulent et émerveillé jeune garçon, Tojiro, les anecdotes de la vie d'Hokusaï, la vie d'Edo la capitale du Japon, les techniques pour créer des estampes...
Samouraï, Sumos, théâtre kabuki, rues emcombrées, atelier de l'artiste, religion prennent vie sous la plume de l'illustrateur de La douane volante. De manière dynamique, l'auteur fait revivre cette période et l'artiste japonais. Cette biographie semi-fictive est rendue encore plus vivante par le personnage de Tojiro, qui se montre espliègle et pose un regard curieux et admiratif sur ce qui l'entoure : "Parmi toutes les images, une le fascine particulièrement. Elle a pour nom La Grande Vague à Kanagawa.
C'est une vague monstrueuse qui s'apprête à déferler sur des barques de pêcheurs tandis qu'au loin se distingue, minuscule, le cône enneigé du mont Fuji.
Comment le maître s'y prend-il pour arrêter ainsi le temps ? La vague semble vivante, elle bouillonne d'écume, on la voit prête à s'écrouler. Par la seule magie de son dessin, le maître a fixé l'éternité des deux éléments les plusfluides de l'univers l'eau et le temps..."(p. 95)
Les 36 vues du mont Fuji d'Hokusaï © BNF
La manga d'Hokusaï © BNF
Mais comme F. Place est aussi illustrateur, il a pris soin d'imager son live par des oeuvres inspirées des estampes d'Hokusaï (que l'on peut admirer dans l'expositition virtuelle sur les estampes de la BNF), dont les fameux mangas et La vague, et des dessins illustrant les deux personnages principaux.
Shishi © François Place
Images détourée, titres de chapitres verticaux, doubles pages : les illustrations présentent une grande variété de formes et de thèmes nous donnant envie de découvrir aussi bien l'art japonais que les autres romans qu'il a illustrés... Le vieux fou de dessin est un très joli roman jeunesse qui présente un univers foisonnant et passionnant en peu de pages.
Place François, Le vieux fou de dessin, folio junior, Barcelone, Janvier 2021, 105 p.
Participation à un mois au Japon organisé par Lou et par Hilde
Sur le web : billet de Hilde
https://www.francois-place.fr/portfolio-item/le-vieux-fou-de-dessin/
Les 36 vues du mont Fuji d'Hokusaï © BNF
Honoré et moi de Titiou Lecoq : ISSN 2607-0006
C'est après avoir écrit un livre féministe et tout en découvrant les comptes balzaciens, les maisons où il a habité, ses romans, ses biographies que Titiou Lecoq décide d'écrire une biographie de Balzac. Le titre, "Honoré et moi" peut laisser supposer une large présence de la romancière : en fait, elle parle assez peu d'elle-même mais intervient effectivement dans le récit pour remettre en cause avec humour certains clichés (notamment les rapports de l'auteur et de sa mère) et mettre en valeur d'autres éléments qui l'intéressent comme la place de l'argent dans la vie de Balzac parce qu'elle a trouvé et lu les comptes financiers de l'auteur comme un roman à suspense.
On associe rarement "forçat de l'écriture", ce "travailleur puissant et jamais fatigué" (Hugo) aux problèmes pécuniers : comme le rappelle l'essayiste, "en littérature, on aime peu parler d'argent, et encore moins présenter un grand auteur comme quelqu'un qui voulait s'enrichir". Voici donc un extrait significatif : " Chez Balzac, si les passions humaines sont toujours là, on sait au centime près combien coûte l'amour d'un père pour ses filles. Théophile Gautier ( que je vais longuement citer parce que l'aime) : Jusqu'alors le roman s'était borné à la peinture d'une passion unique, l'amour, mais l'amour dans une sphère idéale en dehors des nécessités et des misères de la vie. [...] Dans La peau de chagrin, il eut le courage de représenter un amant inquiet non seulement de savoir s'il a touché le coeur de celle qu'il aime, mais encore s'il aura assez de monnaie pour payer le fiacre dans lequel il la reconduit. Cette audace est peut-être l'une des plus grandes qu'on se soit permise en littérature, et seule elle suffirait à immortaliser Balzac.[...]" (p. 71) et l'auteure d'ajouter : "Ces angoisses-là existent toujours. La société de consommation a quelque chose de diabolique en ce qu'elle repose sur une foison de produits désirables à acquérir et qui laissent en permanence une sensation d'inachèvement [...]. Mais Balzac va plus loin. Ce qu'il raconte, ce n'est pas simplement l'argent, comme dans un roman picaresque où le héros se débat ave les galères de thune. Il ne s'arrête pas au prix d'une paire de gants. Il se sert du systèmes financier comme d'un élément romanesque. Il raconte l'argent virtuel, le système de crédit, de la spéculation, ce qui rend certains passages de ses oeuvres difficiles d'accès pour les initiés, ainsi dans des spéculations du banquier Nucingen dans La maison Nucingen, ou des magouilles du père Grandet dans Eugénie Grandet"(p. 72).
D'emblée, on est happé par cette biographie dépoussiérée dans son langage et dans l'approche des textes et des événements de la vie de l'auteur de La Comédie humaine. Mais si la vie de Balzac ressemble autant à un roman, c'est qu'il s'est beaucoup inspiré de ses déboires pour écrire ses histoires et il a d'ailleurs créé des personnages inspirant ses jeunes contemporains.
Donc on tourne les pages sans s'en apercevoir : la mère de Balzac aurait été une femme sans coeur ? Balzac aurait été poursuivi par des créanciers injustement ? Est-il toujours moderne ? Ses romans peuvent-ils intéresser le public du XXIeme siècle ? T. Lecoq aborde aussi bien sa vie privée (ses amours avec les différentes comtesses) que sa vie publique. Son caractère naïf et crédule, voire extravagant est le plus étonnant, même si on peut trouver ces anecdotes dans d'autres biographies : "A Vienne, il rencontre un baron spécialiste de l'Orient qui lui fait un cadeau, une espèce de talisman monté en bague, avec une inscription sibylline. Il l'appelle le "bédouck". Le baron lui dit mystérieusement : "Un jour vous connaîtrez l'importance du petit cadeau que je vous fais". Et là, allez savoir pourquoi si ce n'est grâce à la formidable puissance d'imagination de Honoré, il se convainc que cette bague est un bijou ayant appartenu au prophète Mahomet, puis au Grand Mogol, et qu'elle a bien sûr un pouvoir magique protégeant son propriétaire. Parfait. Honoré n'a donc plus à s'inquiéter de ses dettes et soucis divers, le bédouck lui portera chance dans toutes ses entreprises - au pire du pire, il pourra toujours le revendre une fortune" (p. 181)
C'est certain, ce n'est pas une vie racontée de manière exhaustive - excepté pour la décoration, les lieux habités par l'inventeur du retour des personnages et ses faramineux projets pour gagner de l'argent (mais sous la plume de T. Lecoq, même les détails des factures sont rendus passionnants !). Elle le dit souvent, Titiou Lecoq est complètement fascinée par la dette colossale que creuse l'artiste lui-même en dépit du bon sens - mais elle apporte un regard neuf non dénué d'intérêt ni d'humour...
Illustration d'Honoré et moi, Balzac d'Achille Dévéria
Et voici une dernière citation qui conclut cette biographie et ce billet : " En réalité, il n'y a, bien sûr, pas de morale à chercher dans une vie. Honoré aura été fidèle jusqu'au bout à ce qu'il écrivait dans une lettre : " Je fais partie de cette opposition qui s'appelle la vie." Balzac a fait ce qu'il voulait de sa vie, en dépit de toutes les restrictions que la société a tenté de lui imposer. Il n'a sans doute pas été très heureux, mais il a choisi d'être libre" (p.294). Une biographie à lire passionnante et vivante comme un roman !
Lecoq Titiou, Honoré et moi, L'iconoclate, Alençon, septembre 2019, 295 p.
LC Balzac avec Claudia. Prochaine LC le 20 mai 2021 avec "Une fausse maîtresse".
Sur le web : billet de A girl from earth, Keisha...
Goya de Serafini Guiliano : ISSN 2607-0006
L'ombrelle, Goya, 1777
Comment imaginer que le même peintre ait peint L'ombrelle et le sombre Saturne ? La peinture de Goya présente une variété, une richesse extraordinaire et une modernité surprenante. C'est ce que s'attache à montrer cette biographie chronologique avec, d'abord, la période où il copie des maître lorsqu'il fait le Grand Tour (1770) où il a peut-être rencontré Piranèse ( Prison XIII). Il peint alors des tableaux comme Hannibal contemple pour la première fois l'Italie du haut des Alpes.
Saturne, Goya, 1820
Hannibal contemple pour la première fois l'Italie du haut des Alpes ( 1770), Goya
Plus tard appelé à Madrid ( 1774), il s'inspire de la mode du majisme et représente des scènes galantes, de la vie quotidienne édulcorée telles que Les lavandières.
L'intérêt de cette biographie est d'avoir inséré des encadrés permettant l'analyse d'un tableau spécifique (La prairie de San Isidro qui est non seulement une peinture de "plein air" mais aussi moderne par son "inachevé") ou de développer les influences du peintre aragonais en faisant des parallèles entre, par exemple, Vélasquez et Goya.
La pradera de San Isidro, Goya
Tout au long de sa vie, Goya est proche du pouvoir et répond à de nombreuses commande avec notamment des portraits officiels. Au moment où il est atteint de surdité, la Cayetano devient la muse du peintre aragonais ( La duchesse d'Albe). Commence une période où les tableaux de l'artiste présente un aspect plus sombre de l'humanité avec Les caprices, suivis des sorcières de l'Alameda (Le grand bouc).
Le grand bouc, Goya, 1797
Lorsque le biographe éoque la maja desnuda ( 1800), il met en parallèle ce nu avec la Venus d'Urbino de Titien (1553) ou la Venus au miroir de Velasquez ( 1647) pour montrer comment le peintre critique les coutumes et la morale. Le peintre des caprices a aussi peint la guerre avec les célèbres le 2 mai 1808 et le 3 mai 1808 mais sans patriotisme ni héroisation des soldats.
El tres de mayo de 1808 et el dos de mayao de 1808
On retrouve la même veine des Caprices, avec Les Proverbios qui poussent encore plus loin les thématiques de la folie et de l'absurdité. L'aspect ténébreux de la condition humaine est aussi visible dans le Pélerinage à San Isidro lorsqu'on le compare avec la prairie de san Isidro.
Manière de voler ( Les proverbes) et El sueno de la razon produce monstros (Les caprices)
Enfin, à 80 ans, Goya s'exile en France et séjourne à Bordeaux où il peint La laitière de Bordeaux ( 1827).
Richement illustrée, cette collection "vies d'artistes" est une bonne introduction à l'art du peintre aragonais.
Serafini Guiliano, Vies d'artistes, Goya, Grund, mars 2005, 118 p.
Le pélerinage à San Isidro, Goya, 1820, musée du Padro
Une mort très douce de Simone de Beauvoir : ISSN 2607-0006
Dans la constellation des récits autobiographiques de Simone de Beauvoir, parmi lesquelles il y a Mémoires d'une jeune fille rangée, La force de l'âge, La force des choses, Tout compte fait et La cérémonie des adieux, on peut trouver ce texte sur l'agonie de sa mère, Françoise, qui a un cancer. Sa fille tend à lui cacher la vérité sur la gravité de la maladie, de même que le personnel médical : le titre est donc antiphrastique. " Ne la laissez pas opérer", lui conseille une infirmière. Simone de Beauvoir a peur aussi que ces opérations soient des tentatives inutiles pour sauver sa mère qui souffre beaucoup.
L'imminence de la mort transforme sa mère. Celle-ci montre un grand courage et de la vitalité. Elle accepte enfin sa part "d'animalité". En conflit avec sa fille durant sa vie, elles se réconcilient enfin. Ce conflit, la narratrice l'explique par l'éducation "spiritualiste" de sa mère, qui pense à l'aide de "cadres tout faits"( p. 80) ( "maman est entrée dans la vie corsetée des principes les plus rigiges : bienséances provinciales et morale de couventine", p. 41) ou fuit les "vérités gênantes". Elle préfère, par exemple, ignorer les infidélité de son époux. Ainsi, face à la mort, " elle renonçait aux interdits, aux consignes qui l'avaient opprimée toute sa vie". A l'inverse, Simone de Beauvoir a pris le "chemin de la contestation" et renonce au mariage bourgeois : " que le mariage bourgeois soit une institution contre nature, son cas suffisait à m'en convaincre" (p. 45).
La romancière analyse aussi les préjugés, les conditions de vie de sa mère, la question du mariage et des rapports entre les femmes et les hommes, au début du XXeme siècle. " Analyser" est le terme qui convient car l'auteur du Deuxième sexe ne s'épanche pas mais décrit de manière sociologique et clinique les derniers instants de sa mère, ce qui lui permet de souligner le scandale métaphyphique de la mort qu'elle développera tout au long de son oeuvre romanesque (comme dans Tous les hommes sont mortels) ou de son entreprise mémoriale ( Mémoires d'une jeune fille rangée peut être perçue comme le tombeau de Zaza, l'amie de jeunesse de Simone de Beauvoir). C'est une narration qui thématiquement et styliquement peut être rapprochée d'Une femme d'Annie Ernaux et qui permet de retrouver des motifs emblématiques de l'oeuvre de Simone de Beauvoir.
de Beauvoir Simone, Une mort très douce, Folio 124 p.
biographie de Roth par Stampaprint : ISSN 2607-0006
Je n'ai lu qu'un seul livre de Roth que j'avais beaucoup apprécié ( Indignation) et je compte encore lire son oeuvre, qui reste indégnablement majeure dans la littérature américaine. Stampaprint a réalisé une infographie retraçant la biographie ( après celle d'Asimov, de Shakespeare) de cet auteur qui vient de disparaître.
La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon : ISSN 2607-0006
La petite communiste qui ne sourait jamais est une périphrase qui désigne Nadia Comaneci. Lola Lafon s'empare de la vie de cette gymnaste roumaine pour nous décrire une destinée atypique, sous un régime dictatorial, tout en menant une réflexion sur l'enfance des enfants stars.
L'hybridité du genre est gênante dans la lecture. On a pris soin de marquer "roman" sur la couverture. La fictionnalisation de la vie de Nadia est multiple. Comment accéder à la vérité sur sa vie ? Nadia devient vite un symbole du gouvernement de Ceausescu, qui mythifie le personnage. Des zones d'ombres subsistent. A ces incertidudes s'ajoute le choix narratif fait par l'auteur : Lola Lafon feint d'avoir des communications avec Nadia pour écrire le roman. Des passages en italiques rendent compte de leur dialogue inventé et d'autres passages sont le récit écrit par l'auteur. A chaque instant, on s'interroge sur le degré de véracité des propos.
Outre la forme hybride, les phrases elle-mêmes sont parfois confuses. Elles sont longues et n'en précises pas toujours l'énonciateur, comme dans le passage suivant : "Toutes ces tâches. Ingérées sagement, leurs incessantes exigences à satisfaire se dévident de son être traversé de pellicules et de flashs, une radioactivité mondiale. Ca tourne, chérie. L'ordre du mérite de la nation de l'héroïsme, tout s'effrite, yes sir, j'ai l'image de Comaneci qui pleure, son corps est un champ de batailles acharnés qu'ils mènent et disputent, tous, celui dont l'ombre est au-dessus de Béla, ce plus-que-Béla de la république socialiste de Roumanie qui n'est finalement qu'un autre Béla, tous ces managers, tous, ils reprennent ses gestes un à un, la positionnent de façon qu'elle soit plus efficace, souple, facile d'accès." ( p. 198). Tout paraît confus, sentiment renforcé par l'utilisation de courts chapitres qui passe d'un lieu à un autre...
En revanche, la description du régime dans lequel vit Nadia est évoquée par touches et avec nuance : Lola Lafon qui a écrit ce livre en Roumanie (à Bucarest, précise-t-elle dans les remerciements) a transcrit la vision occidentale de ce pays mais aussi les sentiments des habitants. Elle ne cherche pas à idéaliser, ni à diaboliser le régime politique. Plusieurs anecdotes soulignent la dureté du régime. La securitate dresse des listes de mots interdits : " Ceux, en particulier, qui évoquaient la faim et le froid, et qui étaient considérés comme une allusion directe aux décrets de Ceausescu ; on n'avait pas le droit d'écrire : "il enfila un pull car il frissonnait "! Tout était lu et relu" (p. 218).
Le destin des femmes sous l'ère Ceausescu semble particulièrement préoccuper l'auteur : la politique pro-nataliste instrumentalise les Roumaines. Tout particulièrement, c'est la starification du corps de l'enfant qui scandalise la narratrice. "L'enfance sacrifiée" et le rejet du corps de Nadia, lorsqu'elle commence à grandir, et son changement remarqué aux JO en Russie en 1980 font l'objet de nombreux passages du roman. On découvre donc la vie fascinante de Nadia Comaneci, mais déservie par une plume un peu brouillonne.
Lafon Lola, La petite communiste qui ne sourait jamais, Babel, 318 p.
Nadia Comaneci, La gymnaste et le dictateur, Pola Rapaport, documentaire, 2015, 50 min.
Regarde les lumières, mon amour d'Annie Ernaux : ISSN 2607-0006
Au XIXeme siècle, Zola décrivait les grands magasins, leurs techniques de vente inventées par le génial Octave Mouret, qui souhaite construire "un temple" dédié au femmes. De même, dans son journal intime Regarde les lumières mon amour,Annie Ernaux l'auteur de La place, La honte, Une femme, souligne ce sexisme toujours présent dans notre société : "Beaucoup de monde au rayon jouets d'Auchan. D'enfants. séparés rigoureusement. Aucune fille devant les voitures et les panoplies de Spiderman, aucun garçon devant les Barbies, les Hello Kitty, les poupons Rik et Rok qui pleurent" (p. 41).
Comme dans un essai sociologique, elle retranscrit aussi les techniques commerciales des grandes surfaces pour vendre davantage, leur manière de se renouveler sans cesse pour nous faire consommer... Elle montre aussi comment la surconsommation est permise grâce au travail et à l'exploitation d'autres personnes. Sans pathos, elle constate les faits : " Le bilan de l'effondrement de Rana Plaza au Bangladesh est de 1127 morts. On a retrouvé dans les décombres des étiquettes des marqes de Carrefour, Camaïeu et Auchan" (p. 78).
Comme le temple qui désignait le grand magasin d'Octave dans Au bonheur des dames de Zola, Ernaux use d'une métaphore religieuse pour désigner Auchan : " Jamais le centre ne ressemble davantage à une cathédrale flamboyante qu'en cette période" ( p. 36). Ce n'est ni une élogieuse description des hypers, ni une satire de ces lieux que fait Annie Ernaux mais elle nous livre sa pensée, qui me semble un peu moins vraie que ses autres observations d'une remarquable justesse, me semble-t-il : "Consigner mes déplacements à l'hyper Auchan durant plusieurs mois entre 2012 et 2013 a été une façon de fixer des moments de cette histoire collective, continue et insensible. de saisir en moi des pensées, des sensations, et des émotions qui ne peuvent surgi que là, dans cet espace où sont rassemblés le plus de mes semblables différents, où le vivre ensemble", cette incantation creuse, possède une réalité corporelle, visible. Car l'hyper reste - jusqu'à un redoutable nouvel ordre dont l'apparition se profile dans la dérive inquiétante de la société française - un espace de liberté et d'égalité d'accès, ouvert à tous et toutes sans distinction de revenu, de tenues vestimentaires, d'identé". Un style à découvrir si ce n'est pas déjà fait...
Ernaux, Regarde les lumières mon amour, Folio, 96 p.
Autres romans : La place, La honte, Une femme,
Billet de Lilly ici.
Asimov par Stampaprint : ISSN 2607-0006
Si vous aimez Les Robots ou si vous avez lu le cycle de Fondation, vous serez certainement ravis de découvrir cette biographie illustrée, réalisée par Stampaprint pour le 25eme anniversaire d'I. Asimov. Stampaprint avait aussi réalisé celle de Shakespeare.
Un roman russe d'Emmanuel carrère : ISSN 2607-0006
A partir d'un reportage sur un Hongrois, un soldat disparu de la Seconde Guerre Mondiale, enrôlé par les Allemands, c'est tout un passé secret de l'auteur qui ressurgit. Comme dans L'adversaire, s'entrecroise un travail journalistique et autobiographique. Alors que l'auteur avoue qu'il ne " ne supporte plus d'être prisonnier de ce scénario morne et immuable, quel que soit le point de départ de [se] retrouver à tisser une histoire de folie, de gel, d'enfermement, à dessiner le plan du piège qui doit [l]e broyer.", c'est, hélas, à une histoire de folie et d'horreur qu'il nous convie.
Tout d'abord, il y a ce reportage à Kotelnitch, où on découvre toute une population vivant dans une pauvreté révoltante. Cette ville servira d'ailleurs d'arrière-fond à un fait divers des plus horribles. Ensuite, l'auteur raconte sa relation avec Sophie, une jeune femme qu'il aime mais qu'il repousse à cause de son niveau social. Histoire d'amour ? Plutôt une histoire de trahison, de haine, de jalousie. Enfin, en surimpression, s'ajoute l'histoire du grand-père géorgien de l'auteur : collaborateur, peut-être fou, disparu, il hante sa mère et l'écrivain.
Au coeur du roman, se trouve un texte ( est-il cité mot à mot ?) dédié à la femme aimée, publiée dans Le Monde, où comme dans la Modification de Butor, il s'adresse directement à son interlocutrice pour l'inciter à avoir un orgasme. J'ai sauté ces pages : comme le demande quelques pages plus tard, une journaliste anonyme, jusqu'où peut-on donner en pature ses proches ? La partie concernant le reportage est tout à fait instructif mais celle concernant l'auteur m'a mise mal à l'aise. Comment peut-on révéler des détails si intimes ? Cette partie autobiographique était-elle nécessaire ? Un livre dérangeant qui continue à tisser les leitmotives de l'auteur, à savoir le monstrueux et la folie...
Carrère, Un roman russe, 399 p. Folio