Le mur invisible

Illustration de couverture : © Jules Bastien-Lepage, 1879, The Metropolitan Museum of art, New York

 Même si vous avez déjà vu le film Le Mur invisible de Julian Roman Polsler (2012) adapté du roman de Marlen Haushofer (1963), on prend un immense intérêt à lire ce roman d'anticipation atypique. Pas de catastrophe atomique, pas d'aliens envahisseurs... Une femme tient un journal, dans une langue simple et descriptive. En voici l'incipit : "Je n'écris pas pour le seule plaisir d'écrire. M'obliger à écrire me semble le seul moyen de na pas perdre la raison. Je n'ai personne ici qui puisse réfléchir à ma place ou prendre soin de moi. Je suis seule et je dois essayer de survivre aux longs et sombres mois d'hiver".

Peu d'actions spectaculaires sont narrées mais l'héroïne décrit son quotidien, notamment les émotions qui furent les siennes lorsqu'elle constate qu'elle est seule face à une énigme insoluble. L'introspection menée dans la solitude comporte toutes sortes de réflexions sur notre société : la tyrannie des heures, la responsabilité des femmes au sein de leur famille.

Si l'on replace ce livre dans son contexte,  Le mur invisible a été écrit pendant la guerre froide, à une époque où l'on craignait une guerre atomique qu'elle évoque tout au début de son roman : " à cette époque, on parlait beaucoup d'une guerre atomique et de ses conséquences, ce qui poussa Hugo à stocker dans son chalet de chasse une provision de denrées alimentaires et d'objets de première nécessité" (p. 12).

Mais un lecteur du XXIeme siècle peut plaquer ses préoccupations sur ce livre. A l'inverse de notre consumérisme effrénée, la narratrice est obligée d'être attentive aux nombres d'allumettes, de cartouches utilisées lors de ses chasses :  "pourtant à cette époque déjà je ne souffrais plus autant d'envies impossibles à satisfaire. Mon imagination n'était plus alimentée de l'extérieur et les désirs s'apaisaient lentement. J'étais bien contente quand nous étions rassasiées, moi et mes bêtes, et quand nous n'avions pas à souffrir de la faim" (p. 238) et " maintenant que les hommes n'existent plus, les conduites de gaz, les centrales électriques et les oléoducs montrent leur vrai visage lamentable. On en avait fait des dieux au lieu de s'en servir comme des objets d'usage" (p. 259).

Ses actions quotidiennes provoquent d'innombrables réflexions sur sa condition de femme ("Quand je me remémore la femme que j'ai été, la femme au léger double menton qui se donnait beaucoup de mal pour paraître plus jeune que son âge, j'éprouve pour elle peu de sympathie. Mais je ne voudrais pas la juger trop sévèrement. Il ne lui a jamais été donné de prendre sa vie en main. Encore jeune fille, elle se chargea en toute inconscience d'un lourd fardeau et fona une famille, après quoi elle ne cessa plus d'être accablée par un nombre écrasant de devoirs et de soucis" p. 96) ou sur son rapport à la nature ( "Les gens qui peuplaient mes nuits pendant le premier hiver ont complètement disparu. Je ne les vois plus jamais. Il ne se montraient pas particulièrement aimables dans ces rêves, alors que les animaux y sont amicaux et plein d'entrain. Mais à la réflexion il n'y a là rien d'étonnant, cela montre tout au plus ce que j'ai toujours attendu des hommes et ce que j'ai toujours attendu des animaux", p. 174) et replace l'homme dans l'histoire du temps : "Les humains sont les seuls à être condamnés à courir après un sens qui ne peut exister. Je ne sais pas si j'arriverai un jour à prendre parti de cette révélation. Il est difficile de se défaire de cette folie des grandeurs ancrée en nous depuis si longtemps. Je plains les animaux et les hommes parce qu'ils sont jetés dans la vie sans l'avoir voulu" p. 277.

A lecture de ce livre, l'envie vient de noter toutes ces réflexions ( d'où ces interminables citations) et de mener sa propre introspection, sa propre réflexion sur le monde qui nous entoure. De nombreuses lectrices ont déjà lu ce roman comme le rappelle la journaliste A. Bonte dans son article " Le mur invisible" : des centaines de Françaises se passionnent pour ce livre de 1963" ? Tant mieux, continuons à parler de ce livre formidable...

Haushofer Marlen, Le Mur invisible, Babel, Avignon, Février 2019, 345 p.

Sur le web : Bonte Arièle, "Le Mur invisible" : des centaines de Françaises se passionnent pour ce livre de 1963", RTL, mis en ligne le 31 janvier 2019. URL : https://www.rtl.fr/girls/identites/le-mur-invisible-des-centaines-de-francaises-se-passionnent-pour-ce-livre-de-1963-7796385264

 Schmitt Amandine, "Comment "Le mur invisible" est devenu la nouvelle bible écoféministe", Bibliobs, mis en ligne le 25 février 2019. URL : https://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20190213.OBS0132/comment-le-mur-invisible-est-devenu-la-nouvelle-bible-ecofeministe.html