La traversée de l'été et Petit déjeuner chez Tiffany de Truman Capote : ISSN 2607-0006
Avec ces deux romans New-yorkais, Truman Capote dresse le portrait de deux femmes aux caractères diamétralement opposés, mais tout en nuance. Le style diffère aussi, étant donné que La traversée de l'été est son premier roman, un roman qu'il disait inachevé puis perdu.
"La belle saison avait pris fin depuis longtemps"
Mais commençons par l'histoire de La traversée de l'été dont le manuscrit a connu une vie mouvementée. Lors d'un déménagement, Truman Capote aurait laissé des affaires qui ont été récupérées par sa concierge : quelle ne fut la surprise de tous, de retrouver à une vente aux enchères à Sotheby's en 2005, le premier roman de Truman Capote, avant son succès des domaines hantés. Grady Mc Neil est la figure principale de ce roman "étouffant" : jeune fille des beaux quartiers, en conflit avec sa mère, elle refuse d'accompagner ses parents pour une croisière en Europe : ce sera son premier été à New-York, seule. Alors que sa mère souhaite "lancer sa fille dans le monde et que ses préoccupations sont matérielles (Dior ou Fath pour la robe de débutante ?), Grady s'interroge sur ses sentiments : Aime-t-elle vraiment Clyde ? Juif, gardien de parking, il appartient à un milieu dont elle ignore tout. La traversée de l'été est un très beau roman sur le gouffre que peuvent créer la position sociale et sur les incertitudes de l'adolescence. Que sait-on de l'amour à 17 ans ?
Petit déjeuner chez Tiffany :
Quant à Holly Golightly, l'héroïne de Petit Déjeuner chez Tiffany , connu aussi grâce à l'adaptation de Blake Edwards, Les diamants sur un canapé, elle est menteuse par nécessité, frivole et superficielle. Insaisissable, elle papillonne, entourée d'hommes. Elle veut être actrice mais reste sans rôle. Demi-mondaine, bavarde, elle ne semble pas sentir le poids de la réalité, indifférente à ce qui l'entoure. Finalement, elle est arrêtée, après avoir été à son insu, mêlée à un trafic de drogue puis disparaît. Les souvenirs racontés par son voisin écrivain, la montre comme une femme artificielle, mais encombrée par un passé assez lugubre. Voici sa première apparition, assez excentrique, rappelant la voisine qu'a incarné Marilyn Monroe dans Sept ans de réflexion de Billy Wilder : "Le sentiment que l'on m'épiait. Que quelqu'un était dans la chambre. Puis il y eut une succession de coups secs frappés sur la vitre, apparition d'un gris spectral. Je renversai le grog. Il me fallut un certain temps avant que je me décide à ouvrir la fenêtre et à demander à Miss Golightly ce qu'elle voulait. "J'ai laissé en bas un type absolument terrifiant, me dit-elle, passant de l'échelle de secours dans ma chambre. Je veux dire qu'il est charmant quand il n'est pas saoul, mais qu'il se mette à écluser, et vous parlez d'un sauvage ! [...] Elle écarta son peignoir de flanelle grise de son épaule pour me montrer ce qui arrive lorsqu'un type vous mord. Elle ne portait rien d'autre que ce vêtement.".
L'écriture de ces deux romans est extrêmement différente : dans La traversée de l'histoire, le style de Capote est surchargée par des comparaisons surprenantes ou outrées comme "son visage mince, ses traits aussi délicats que des arêtes de poisson, semblaient baignés de miel" ou "obéissant à sa compagne, une femme couleur de fraise mûre imprégnée de cognac, il se pencha par-dessus la table voisine pour adresser à Peter un salut un peu embarrassé", tandis que celui de Petit déjeuner... est beaucoup plus épuré, proche de sa volonté de "sous-écrire" ses romans... New-York n'a qu'une très petite place symbolique, dans ces deux romans comme l'opposition de la 5eme avenue avec Broadway pour son premier roman, et Tiffany pour le second. Comme dans la plupart de ses oeuvres, les descriptions se font par petites touches, souvent des notations de lumières exprimant soit le désarroi, soit la beauté du monde vu à travers les yeux de personnages : " Du haut du balcon, elle apercevait le faîte des tours et des gratte-ciel qui semblaient trembler, comme menacés de se dissoudre dans le rayonnement brutal de l'après-midi". Le récit de la vie de Holly ne comportent pas de profondeur et paraît assez vain : le sujet est aussi mince que l'intérêt qu'on peut y porter. Grady Mc Neil est une magnifique figure d'adolescente, tout en souffrance et en nuance. De la traversée de l'été, il émane une infinie tristesse touchante : certes, un premier roman à la prose surchargée, mais qui mérite d'être redécouvert. Cependant, détresse et solitude fondamentale des êtres transparaissent dans ces deux récits : n'est-elle pas celle aussi de cet écrivain narrateur de Breakfast at Tiffany's, qui ressemble tant à Truman Capote ?
Capote Truman, Petit déjeuner chez Tiffany, Folio, 188 p.
Capote Truman, La traversée de l'été, Livre de poche, 150 p.
Autres romans : Musique pour caméléons, Cercueils sur mesure
Lu dans le cadre du challenge New York d'Emily.
Les avis de Katell, Clarabel, Lou...et je rajoute celle de Mango, Lilly, Karine...