Dickens, Barbe à papa de Philippe Delerm : ISSN 2607-0006
Jouant sur la métaphore "dévorer des livres", Philippe Delerm alterne descriptions ou anecdotes de souvenirs culinaires et de souvenirs de lectures. De même que la madeleine proustienne ressuscite toute l'enfance du narrateur, l'auteur développe dans ce court récit, des aliments qu'il associe à différents auteurs. Voici un exemple, intitulé "La lecture et l'anorexie " (p. 49):
"La chartreuse de Parme, Le Vicomte de Bragelonne, Monsieur de Camors, Le vicaire de Wakefield, La chronique de Charles IX, La terre, Lorenzaccio, Les Misérables... Voici quelques-uns des aliments dont se nourrit Juliette, la soeur aux longs cheveux de Colette. C'est un textes étrange qu'à écrit l'auteur de lLa maison de Claudine. Comme si parmi les sources vives de l'enfance, la fraîcheur de l'aube donnée en récompense, la sensualité des sources, des glycines, de l'abricot mûri sur l'espalier, il fallait qu'il y eût aussi un un lieu clos, une prison de fièvre. La chambre de Juliette. "J'avais douze ans, le langage et la manière d'un garçon intelligent, un peu bourru, mais la dégaine n'était pas garçonnière, à cause d'un corps déjà façonné fémininement, et surtout deux longues tresses". Ainsi se définit Colette sur le seuil de cette chambre à la fois familière et lointaine. cette phrase n'est pas sans équivoque. L'auteur y revendique d'emblée virilité et féminité mêlées. A l'âge où il faut choisir, elle aime trop la vie pour séparer. Si le début de la phrase marque sa singularité de sauvageonne, la fin, par chevelure longue interposée, fait de Juliette un double.
Qu'est-ce que Juliette ? Une enveloppe terrestre féminine qui se consume dans les livres jusqu'à la folie. Elle ne dort plus, ne mange plus, laisse refroidir indéfiniment la tasse de chocolat que Sido lui a préparé. A la fin, elle passe de l'autre côté du miroir, confond ses proches avec ses auteurs préférés qui viennent lui rendre visite dans son délire. comment ne pas penser que la jeune Sidonie Gabrielle Colette a dû être horrifiée autant qu'attirée par cette chambre absolue de lecture où Juliette s'est enfermée ? On dévore les livres, ou bien les livres vous dévorent. C'est une drogue effrayante et douce, un séduisant voyage. Colette l'a connu de trop près pour ne pas se sentir tentée. Une force en elle a donné sa réponse. On peut aussi manger la vie. Alors plus tard, peut-être, on en fera des livres."
Entre deux réminiscences d'instants de vie liées à la gastronomie, Delerm parle du style de Flaubert, dans L'éducation sentimentale, du travail du poète Carl Spitzweg, raconte des anecdotes sur Proust ou Dickens, fait aussi l'éloge d'Alain de Bottom. Si les textes ne présentent pas une égalité de qualité ou d'intérêt, selon les auteurs évoqués, Philippe Delerm arrive à nous faire partager ses plaisirs livresques et à faire ressurgir en nous, nos propres souvenirs d'enfance, que ce soit l'amour de la barbe à papa ou l'amour de Dickens...