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1001 classiques
27 janvier 2010

Madame Bovary de Flaubert : ISSN 2607-0006

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Qui ne connaît pas le "bovarysme" ? Ce néologisme a été formé à partir du nom de la célèbre héroïne de Flaubert ( biographie ici) : Emma Bovary. Cette dernière est la fille d'un riche fermier. Son père blessé est soigné par Charles Bovary, un homme médiocre ayant fait un mariage médiocre dont le père est un ancien noceur ruiné. Charles, attiré par cette jeune fille, va l'épouser à la mort de sa première femme. Mais Emma, dès les premiers jours de son mariage ressent déjà une inadéquation entre ses rêves et la réalité : "Et Emma cherchait à savoir ce que l'on entendait au juste dans la vie par les mots de félicité, de passion et d'ivresse, qui lui avaient paru si beaux dans les livres" . Partagé entre sa prosaïque vie et ses rêves romanesques, Emma déchante et déchoit.

Classique parmi les classiques, Emma Bovary m'avait pourtant fait une effroyable impression lorsque je l'ai lu, pour la première, fois jeune. Avec le temps, on s'aperçoit que la médiocrité décrite et la narration de l'ennui quotidien, des petits riens d'une vie peut provoquer un sentiment de rejet. Cependant à y regarder de plus près, Emma Bovary n'est pas seulement un chef-d'oeuvre de réalisme, il est aussi une réflexion sur la vie, la mort, l'amour.

Emma Bovary est un personnage emblématique : elle incarne la désillusion d'un personnage confronté à une vie décevante. Emma est imprégnée de lectures de Lamartine et Chateaubriand et elle se voit obligé de subir la "conversation de Charles [qui] était plate comme un trottoir de rue". Sa vie est morne ; l'ennui, le quotidien ronge l'héroïne et le bal chez le marquis de Vaubyessard ne va faire qu'exacerber ses rêves de luxe (fin première partie). Son déménagement à Yonville bouleverse-t-elle sa vie ? Elle qui dit détester "les héros communs et les sentiments tempérés, comme il y en a dans la nature", elle y retrouve la même routine et des personnages insignifiants. Bovary est plus stupide que jamais et ne comprend pas sa femme. Il passe à côté de sa vie mais sans se poser de questions, sans souffrir. Quant à Rodolphe, l'amant d'Emma, c'est un rustre : il n'est qu'une désillusion supplémentaire dans la vie de l'héroïne.

Roman scandaleux parce que l'auteur ne condamne pas son héroïne, Madame Bovary ne fait pas l'éloge de l'adultère mais montre la condition de la femme mal mariée au XIXeme siècle. L'auteur ne condamne pas la lecture de romans mais un certain romantisme larmoyant. A chaque événement, Emma se projette dans les rêves décrits dans les livres : pour elle le coup de foudre est annoncé par des éclairs, des tempêtes... Son voyage avortée avec Rodolphe devait lui faire découvrir des villes dont les dômes seraient d'or, et elle est "en plein Walter Scott" lorsqu'elle assiste pour la première fois à un opéra... Le bovarysme, pour schématiser, c'est prendre la fiction pour la réalité. Surtout, il dénonce violemment, à mots couverts, l'étroitesse d'esprit des personnages, leur médisance, leur suffisance. Le curé se dit "guérisseur" des âmes mais lorsqu'Emma lui dit souffrir, ce dernier lui répond qu'il souffre aussi de la chaleur et puis du moment qu'il y a du feu et de la nourriture, de quoi se plaindrait-on ?

La lecture de ce roman de Flaubert réussit à faire surgir tout un monde médiocre et désenchanté, tout en intéressant le lecteur sur le sort de sa malheureuse héroïne. Cette relecture a été une belle redécouverte.

Flaubert, Madame Bovary, Petits classiques Larousse, 318 p.

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25 janvier 2010

Salomé d'Oscar Wilde : ISSN 2607-0006

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Salomé hante la littérature fin de siècle, elle apparaît dans le roman A Rebours de Huysmans, influence la Salammbô de Flaubert... Loin des sources historiques et bibliques, Wilde (biographie ici) métamorphose Salomé en femme fatale fin de siècle. Hérode a épousé Hérodias, la femme répudiée par son frère. Iokanann, un prophète, qui a critiqué ce mariage immoral, a été enfermé dans une citerne au coeur du palais. Salomé, fille d'Hérodias, aime Iokanann, mais celui-ci la repousse. Elle acceptera de danser pour son beau-père concupiscent en échange d'une promesse : elle réclame la tête de Iokanann...

Salomé est au centre de cette courte pièce  : elle est celle que tous regardent et désirent. Nommée par Iokanann "fille de Babylone",  Salomé est amoureuse et cruelle, elle désire et décide et donne la mort. Salomé envoûte tous les hommes qui l'entourent. L'atmosphère onirique, étrange est créé par le langage poétique : une prose anti-réaliste ou déréalisante. La lune est comparée à "un narcisse agité par le vent... Elle ressemble à une fleur d'argent" ou " comme la lune a l'air étrange ! On dirait la main d'une morte qui cherche à se couvrir avec un linceuil", dit un jeune syrien... Cette pièce de théâtre est une merveille d'art artificiel, avec des fleurs vertes et des références à divers mythes et contes, illustrant parfaitement l'autonomie de l'art. Lorsque Salomé exprime son désir pour Iokanann, elle reprend le "Cantique des Cantiques" : "Iokanaan ! Je suis amoureuse de ton corps. Ton corps est blanc comme le lys d'un pré que le faucheur n'a jamais fauché. Ton corps est blanc comme les neiges qui couchent sur les montagnes de Judée, et descendent dans la vallées. Les roses du jardin parfumé de la reine d'Arabie, ni les pieds de l'aurore qui trépignent sur les feuilles, ni le sein de la lune quand elle se couche sur le sein de la mer...". L'art s'inspire de l'art.

C'est une pièce symboliste, surréaliste avant l'heure, dont Loti dira : " c'est beau et c'est sombre comme un chapitre de l'Apocalyspe".  On perçoit dans cette pièce toutes les obsessions de Wilde : primauté de l'esthétique et le tragique côtoie un ton plus humoristique. Une pièce à lire pour la beauté des images, elle brille de tous les motifs décadents, des pierreries à la présence de paons blancs, et pour sa prose musicale...

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Les illustrations par Aubrey Bearsdley sont magnifiques : des dessins en noir et blanc, dans des cadres japonisants, représentent Salomé sous les traits d'une femme fatale. Les volutes et les courbes, le style rococo mais stylisé traduit bien l'univers sombre et cruel et la beauté étrange de la Salomé de Wilde.

 Mes lectures wildiennes : Les aphorismes

18 janvier 2010

Elémentaire, ma chère Sarah de Jo Soares : ISSN 2607-0006

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Dans les faubourgs du Brésil, un crime est commis : sur les lieux on découvre le cadavre d'une fille de joie égorgée. Le crin d'un Stradivarius, offert par l'empereur à une baronne, a été laissé sur le corps. Un deuxième meurtre est accompli dans les mêmes conditions. Dans le même temps, lorsque l'empereur est mis au courant de la disparition du violon, il fait part de cette découverte à la Divine, c'est-à-dire S. Bernhardt, en tournée au Brésil, qui propose de faire appel à Sherlock Holmes. L'inspecteur Mello Pimenta, qui enquête sur cette affreuse affaire de meurtres en série, finit par faire appel au célèbre détective anglais.

"Nous sommes tous plus ou moins fous" (Baudelaire), en exergue du livre.

Des personnages déjantés et originaux contribuent à créer une ambiance amusante : Sarah Bernhardt ne parle qu'en alexandrins, quant à l'inspecteur Mello présenté comme un homme ventru, il sait courir légèrement comme une gazelle. Une comparaison saugrenue ou comique vient agrémenter les descriptions pittoresques des personnages.  Watson est un véritable sot et ne comprend strictement rien car il ne parle pas portugais. De sa bouche sortent d'ailleurs les paroles les plus absurdes du roman : " comme le dit si bien un vieux proverbe écossais, les seuls oiseaux qui meurent tout éveillés sont le dindon et le cochon" ! Habilement, l'auteur mêle fiction et réalité. Des anecdotes amusantes ou croustillantes de la vie très romanesque de la Divine parsèment le roman. Même le personnage de fiction qu'est S. Holmes est parodique : il tombe amoureux, ne pense qu'à manger des plats exotiques et est maladroit : un véritable contre-emploi. D'ailleurs, l'affaire reste non résolue tant les facultés de déductions et la logique de S. Holmes sont fausses.

Le changement de narration contribue à donner une dynamique à ce roman : alternent tour à tour, les extraits des faits et gestes du meurtrier en italique, des reproductions de journaux et des narrations où dominent des dialogues cocasses. L'auteur passe dans différents lieux, décrivant aussi bien le palais impérial que les quartiers sordides de la fin XIXeme siècle. On regrette juste qu'à chaque personnage ou lieux nouveaux, l'auteur fasse une notice biographique ou une description, qui alourdissent le récit de quelques longueurs.

Burlesque et parodique, entre folie du langage et des personnages, ce roman est vraiment distrayant malgré quelques défauts et on ne peut qu'aimer ce récit qui fait de nombreuses références aux livres. Ironie du sort, dans La solution finale, Conan Doyle tuait son personnage, le détective S. Holmes, qu'il jugeait trop envahissant, mais celui-ci connaît de belles aventures posthumes : les auteurs ne cessent de faire revivre ce mythique détective, pour notre plus grand plaisir !

Merci aux éditions Livre de poche de m'avoir offert ce livre en partenariat avec blog o book

Soares, Elémentaire ma chère Sarah !, Livre de poche, 371 p.

17 janvier 2010

La dame aux camélias de Dumas fils : ISSN 2607-0006

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Celle qu'on désigne par le surnom de "Dame aux camélias" est une courtisane du nom de Marguerite Gautier. Le narrateur va s'intéresser à son histoire, le jour où à une vente publique, il achète un livre lui ayant appartenu. Quelques jours plus tard, un jeune homme, Armand Duval, fou de douleur, cherche à acquérir le livre qui est pour lui un souvenir indispensable. Intrigué  par ce jeune homme et sa démarche, le narrateur va bientôt se lier d'amitié avec lui et prendre connaissance de l'histoire de Mademoiselle Gautier...

Le début du récit est assez surprenant, le narrateur tenant un discours moralisateur peu commun dans les fictions de cette époque : il en appelle à l'indulgence des lecteurs pour les courtisanes qui sont capables de beaux sentiments et doivent susciter la pitié car elles n'ont pas eu, parfois, l'éducation nécessaire. Ainsi, dans les premières pages, se succèdent des paroles de moralisateurs : "soyons bons, soyons jeunes, soyons vrais ! Le mal n'est qu'une vanité, ayons l'orgueil du bien, et surtout ne désespérons pas" ! Mais que le lecteur ne se décourage pas à la lecture de cette phrase.
En fait, le roman est "dumasficelé", néologisme de Jules Renard, on s'intéresse à cette histoire d'amour dès qu'on lit la dédicace sur le livre acheté par le narrateur : " Manon à Marguerite, Humilité. Armand Duval". Que signifient ces mots ? Qui est Armand Duval ? Bientôt le narrateur découvre la vérité sur la vie de la dame aux camélias qui a vécu une histoire d'amour sincère, désintéressée avec Armand Duval. Si les sentiments amoureux ont l'air si vrai, c'est que Dumas fils les a véritablement vécus, il a lui aussi aimé une Dame aux camélias : la jalousie, les tourments, les mensonges et les concessions sont passionnément racontés par Armand Duval, comme un Swann avant l'heure... On est véritablement entraîné par les rebondissements de cette passion même si parfois, on pressent ce qu'il va arriver.
Dumas revisite un thème connu et le sublime. Devenu un mythe et inspiré d'une histoire vraie, celle de Marie Duplessis, il dépeint les sentiments de ces deux jeunes gens de manière très justes et en donnant des accents dostoievskiens à ses personnages : candeur, péchés et rédemption.
Loin des déchéances des héroïnes telles que Nana, Dumas fait le portrait d'une courtisane repentie et donne une dimension sociale à cet amour qui, s'il peut surprendre ou agacer le lecteur au départ, est plus subtilement fait par la suite. Une très belle découverte très émouvante.

Une lecture du challenge ABC

16 janvier 2010

On ne badine pas avec l'amour de Musset : ISSN 2607-0006

 

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Musset, chantre des romantiques, signe ici une comédie dramatique écrite dans une prose poétique. Camille est promise à Perdican, mais lorsque celle-ci sort de son couvent, elle est décidée dès la première rencontre à refuser ce mariage et à prendre le voile : les autres religieuses du couvent lui ont fait la leçon en la mettant en garde contre les hommes. Quant à Perdican, pétri des images de sa douce enfance, il souffre du refus de Camille et se venge en courtisant Rosette, la soeur de lait de Camille.

"Les mots sont des mots et les baisers sont des baisers".

On ne badine pas avec l'amour constitue une comédie de l'amour, où le badinage peut se révéler funeste. Le genre du proverbe était un jeu des salon littéraire à l'origine. Et il est bien question de jeu dans cette comédie qui joue sur les masques et les sentiments jusqu'au moment où la mort s'en mêle.

De nombreuses scènes sont véritablement comiques grâce aux fantoches de la pièce : le Baron père de Perdican n'entend rien à l'amour et ne comprend qu'à demi-mot les répliques des autres personnages, créant ainsi des raccourcis tout à fait amusants. Autour de lui se démènent dame Pluche, affublé d'un nom ridicule, qui est une véritable caricature de vieille fille dévote, et Blazius, précepteur de Perdican, un abbé grand buveur et mangeur. Ces personnages contribuent grandement à créer un comique de situation. Ainsi lorsque Maître Blazius vient annoncer au Baron que Camille était rouge de colère et voulait obliger Dame Pluche à porter un billet qu'elle froisse pour ne pas avoir à l'apporter, voici ce que répond le Baron : "Je n'y comprends rien ; mes idées s'embrouillent tout à fait. Quelle raison pouvait avoir dame Pluche pour froisser un billet plié en quatre en faisant des soubresauts dans une luzerne ! Je ne puis ajouter foi à de pareilles monstruosités."

Pourtant, On ne badine pas avec l'amour n'est pas seulement une comédie : le sérieux de l'avertissement contenu dans le titre s'exerce tout au long de la pièce donnant une dimension tragique à la comédie du dépit amoureux. Camille n'est-elle qu'une orgueilleuse ? Perdican est il un libertin ? Va-t-il réellement épouser Rosette ? Une tension dramatique s'installe pour ne plus quitter la scène : progressivement les jeunes héros se découvrent mais l'aveu vient trop tard comme dans Les caprices de Marianne. La légèreté de l'écriture de Musset n'exclut pas la souffrance et un certain lyrisme. Les personnages sont bien plus complexes qu'il n'y paraît et sont le reflet d'un amour désenchanté et lucide : chaque mot de cette comédie de l'orgueil semble pousser les héros vers un précipice...

Le verbe, le mot et la poésie dominent les trois actes oscillant entre le grotesque et le sublime jusqu'à l'extrême fin tragique. Toute la pièce est portée par la magnifique et musicale prose de Musset, qui met dans la bouche de son jeune héros cette fameuse tirade  : "Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses ; curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime; c'est l'union de ces deux êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois ; mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui".

Des drôleries, de la fraîcheur mais aussi du désespoir, On ne badine pas avec l'amour est une analyse de l'amour sans concession, et une pièce romantique magnifique...

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12 janvier 2010

Tous les autres s'appellent Ali de Fassbinder : ISSN 2607-0006

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J'ai vu récemment un film étrange mais qui me permet de mieux appréhender l'histoire du cinéma allemand : Tous les autres s'appellent Ali est une histoire d'amour, peu banale, entre un arabe "Ali" et Emmy une vieille femme. Tout les sépare : leur âge, leur origine, leurs amis. Cependant, très vite, ils se marient à la grande réprobation de leur entourage. Emmy supporte difficilement cette situation et le racisme ambiant dont font preuve les voisins et ses propres enfants, dans cette Allemagne post-nazie. Le couple résistera-t-il à la pression sociale ?

Les premières images créent un climat presque surréaliste : Emmy entre dans un bar d'étrangers dans lequel elle se réfugie à cause de la pluie battante. Elle commande une boisson, dans un silence de mort. Tous l'observent. Soudain une jeune fille propose à Ali d'aller inviter la vieille dame à danser. Celui-ci s'exécute et la magie de l'amour opère : les deux solitaires se présentent, parlent, et communiquent. Dans ce bar, il n'y a aucun figurant, ni décoration. Les couleurs sont sordides, une lumière blafarde éclaire les visages. Drôle d'ambiance. Et tout le film se déroule dans ce climat de distanciation et d'enchaînement rapide des actions sans véritable logique parfois. Paradoxalement, les plans fixes abondent ce qui créent une certaine lenteur.
Le film est particulièrement déroutant, notamment par la laideur des costumes, des visages et des décors. Le scénariste semble dire regardez l'image, il ne faut pas chercher de réalisme, ni de véracité car l'essentiel est de donner à réfléchir.

En effet, l'un des axes importants de ce film est montrer les rapports de domination dans la société contemporaine de Fassbinder (film de 1970), et comment la violence sociale se répercute dans la sphère de l'intime. Ainsi, après un voyage à l'étranger, lorsque le couple revient, Emmy commence à exercer sur Ali une violence plus détournée, en folklorisant ses goûts ou en le montrant telle une bête de foire. Ce film noir dénonce différent aspect du racisme et la solitude des personnages. Cette phrase en exergue du film laisse rêveur : " le bonheur n'est pas toujours joyeux"... Influencé par la Nouvelle Vague, ce film joue de la stylisation et de la distanciation. Il est aussi influencé par un film lacrymal et hollywoodien de Douglas Sirk Tout ce que le ciel permet tout en exacerbant les critiques de Sirk. Subtilement et sans manichéisme, Fassbinder critique la société contemporaine et montre la permanence du nazisme dans les mentalités. Il met en scène aussi l'écrasement des êtres par les objets et l'enfermement des individus dans une classe sociale. Cinéma intellectuel, le film est pourtant bouleversant et émouvant.

9 janvier 2010

Huis clos de Sartre : ISSN 2607-0006

 

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 Huis clos de Sartre est une courte pièce de 5 scènes réunissant 3 personnages principaux, Ines, Estelle et Garcin, qui vont s'affronter dans une salle figurant l'enfer. Garcin vient de mourir et est amené dans une pièce décorée avec des objets style Empire. Bientôt se joignent à lui deux femmes avec lesquelles il doit cohabiter.

"Garcin
Le bronze... (il le caresse.). Eh bien, voici le moment. Le bronze est là, je le contemple et je comprends que je suis en enfer. Je vous dis que je me tiendrais devant cette cheminée, pressant ma main sur ce bronze, avec tous ces regards sur moi. Tous ces regards qui me mangent... (Il se retourne brusquement.) Ha ! vous n'êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses (Il rit.) Alors c'est ça l'enfer. Je n'aurais jamais cru... Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril... Ah ! Quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l'enfer, c'est les autres".

"L'enfer, c'est les autres".
Le dépouillement de la mise en scène permet la concentration de l'intérêt dans la construction de la relation entre les personnages. Dans l'enfer sartrien, nul besoin de glace, c'est que l'on se voit dans le regard de l'autre. Chacun des personnages cherchent à se cacher le motif de leur damnation mais ils ne peuvent échapper au regard d'autrui, à son jugement et sa ludicité. Les protagonistes ne sont ni des individus, ni des caractères, ce sont des consciences qui s'accomplissent les unes par rapport aux autres. L'homme est à la fois un être pensant et pensé.

Dans l'enfer sartrien, nul besoin de diables, de flammes ou de pals et pourtant il est peuplé de monstres. Brisant l'image d'Epinal, qui faisait de l'enfer une fournaise peuplée de démons tel que Bosch l'a représenté, Sartre ( une exposition virtuelle lui est consacré sur le site de la BNF) fait de l'homme un bourreau pour son semblable : l'homme est bien un loup pour l'homme. Si dans cet enfer, l'homme semble encore libre, cette liberté le renvoie à sa propre finitude : pourquoi faire des choix dans un lieu où n'existe plus la mort, seulement un présent éternel ? Théâtre d'idées, théâtre de l'existentialisme, Huis clos définit l'Enfer tout en montrant la tragédie du destin de l'homme... Dans cette ère de l'individualisme forcené, cette pièce philosophique est à méditer !

Sartre, Huis clos, Folio, 95 p.

8 janvier 2010

Le tartuffe, tome 2, adapté par Duval et Zamzim : ISSN 2607-0006

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J'attendais avec beaucoup d'impatience le nouveau tome du Tarfuffe, après la lecture du tome 1, qui est décidément des plus enthousiasmants et devrait réconcilier les plus récalcitrants avec un classique de la littérature française.

Ce deuxième tome regroupe les actes III, scène 1 à l'acte IV, scène 4 : Orgon s'est donc entiché d'un faux dévot au point de vouloir lui donner sa fille en mariage et de déshériter son fils au profit de Tartuffe. Il tolère même que cet hypocrite fasse la cour à sa femme ! Aveuglé par la fausse dévotion de ce fieffé coquin, il met toute la maisonnée en danger : heureusement que son beau frère Cléante et sa femme Elmire luttent pour rétablir la vérité...

Tartuffe apparaît dans toute sa forfanterie : il est gourmand, vil, menteur et coureur de jupon. Molière a su comme nul autre brocarder la fausse vertu. Tartuffe a beau parler de "haire" et de "discipline", les membres de la famille ne sont pas dupes, excepté Orgon qui est, comme dirait la servante Dorine, "tartuffié".

Le texte étant intégralement reproduit, l'intérêt réside dans la mise en image. Les dessins sont vraiment appropriées, venant illustrer à merveille les défauts dénoncés par Molière : Tartuffe est laid et Orgon niais. Le dessinateur a su rendre plus compréhensible certains passages en rajoutant des scènes, notamment l'épisode de la cassette volée par Tartuffe. Le dessinateur réalise une véritable prouesse en illustrant la célèbre scène de l'aveu de Tartuffe à Elmire : au fur et à mesure de la déclaration d'amour, le paradis remplissant l'arrière plan des cases se transforment en enfer dantesque. Les scènes sont rendues vivantes, avec brio, grâce à des images colorées et imaginatives.

Tartuffe, Tome 2, Duval et Zamzim, Delcourt, 47 p.

billet du tome 1 ici

6 janvier 2010

Thérèse Raquin de Zola : ISSN 2607-0006

9782253010074_TRoman du meurtre et de la folie, Thérèse Raquin est l'un des premiers romans écrit par Zola : beaucoup plus court que les livres du cycle des Rougon-Macquart, il porte déjà l'empreinte des théories naturalistes de Zola.
Thérèse Raquin est une jeune femme pleine de sensualité, qui dépérit au côté d'un mari souffrant et médiocre, Camille. Un jour, ce dernier ramène un camarade d'enfance, peignant à ses heures perdues, et fonctionnaire dans le ministère des chemins de fer comme Camille. Au premier regard Thérèse Raquin est subjuguée par cet homme. Commence une histoire d'adultère...

Thérèse Raquin comporte une intrigue très simple, celui d'un couple adultérin qui cherche à se débarrasser d'un mari devenu gênant. Les courts chapitres permettent de mettre rapidement en place l'intrigue. C'est un roman d'analyse, sans actions véritables, toutefois Zola tisse un réseau de symboles et d'échos signifiants lui permettant de mettre en place sa théorie du déterminisme : l'hérédité et l'influence du milieu se conjuguent pour écraser la vie des personnages. La folie et la lente déchéance des personnages semblent inexorables.

Véritable virtuose de l'intrigue romanesque, Zola (une exposition virtuelle est consacrée à Zola sur le site de la BNF) allie étude de tempéraments et intrigue policière. Comme dans ses romans du cycle des Rougon-Macquart, Thérèse Raquin est un miroir de la société du XIXeme siècle, notamment la vie de petits bourgeois : la médiocrité et l'ennui bourgeois sont illustrés par les fameuses soirées du jeudi soir, répétitives et ineptes. Seul le confort matériel intéresse les Raquin. Cependant, Sainte-Beuve critiquait l'invraisemblance de ce roman, où pourtant l'auteur a désiré tout montrer et tout dire jusqu'à décrire le fonctionnement d'une morgue en s'attardant sur la description des cadavres. C'est que l'oeuvre est aussi traversée, par ricochets, par des symboles tels que la cicatrice et n'est pas exempt de passages fantastiques comme la présence d'un spectre dans la chambre du couple adultérin.  Quant au dénouement, il est digne d'une tragédie suscitant terreur et pitié. Un roman sombre mais un de ceux que je préfère de cet auteur...

Zola, Thérèse Raquin, Livre de poche, 234 p.

Mes autres lectures zoliennes : La bête humaine,

5 janvier 2010

Les orpailleurs de Thierry Jonquet : ISSN 2607-0006

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Comme j'avais beaucoup apprécié la lecture des précédents romans de Thierry Jonquet (La belle et la bête, Le manoir des immortelles) , j'ai poursuivi l'exploration de l'univers très noir de cet auteur avec Les orpailleurs.

Rovère, dansel, Dimiglio et Sandoval sont des inspecteurs d'une brigade parisienne qui vont faire une macabre découverte, celle d'une jeune femme dont on a tranché la main de manière chirurgicale. Elle restera longtemps non-identifiée, créant ainsi une confusion au sein de l'enquête. Ce meurtre est suivi de deux autres meurtres identiques : une jeune artiste peintre polonaise et une vieille femme travaillant à l'ambassade de Pologne sont retrouvées avec la main tranchée. Le mystère s'opacifie surtout que la brigade a d'autres affaires à traiter et que les personnages principaux ont des problèmes personnels, qui viennent interférer avec l'enquête. Quel est le lien entre ces trois femmes ? Et surtout quel est le mobile ?

Ce roman de T. Jonquet est particulièrement complexe car le narrateur suit, de manière assez cinématographique, la vie de plusieurs personnages. On découvre ainsi la vie personnelle mouvementée et dramatique de l'inspecteur Rovère ainsi que celle de la juge Nadia instruisant l'affaire des "femmes aux mains coupés". Le quotidien de la brigade est aussi minutieusement décrit ainsi que d'autres affaires en cours. Les personnages et les intrigues sont donc nombreux et le lecteur reste dans le flou tout le premier tiers du roman. La mise en place des fils de l'intrigue est très longue et ce n'est que dans le dernier tiers du roman qu'on commence à dénouer les fils de l'enquête. T. Jonquet joue avec les nerfs du lecteur et le dénouement en est d'autant plus surprenant.
Cependant si la vie du juge Nadia est mise en valeur, c'est que ce roman policier, en plus de mettre en place une enquête pleine de rebondissements et de surprises, pose les bases d'une réflexion sur la justice et l'Holocauste. Peu à peu, au fil de l'enquête, l'auteur a habilement su mêler des questions sur le souvenir, sur l'histoire et la morale, sans être toutefois moralisateur.
Comme dans Le manoir des immortelles, l'auteur semblent refuser de conclure et la fin est une non fin qui peut être frustrante. Un roman remarquablement complexe dont la lenteur peut agacer mais qui se révèle beaucoup plus riche qu'une simple enquête...

Joncquet, Les orpailleurs, Folio policier, 400 p.

Autres romans de l'auteur : Le manoir des immortelles, La bête et la belle

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